Tisserands de nos gouffres par Rachel Peteytas

Animal pensant, capable de rire, l’homme efface de sa vie son âme mendiante. Etre de réflexion, esprit créatif, il se vilipende en actes poussifs. Nous marchons dans un monde par nous-mêmes torturé, procession amputée gouvernée d’une seule main. Fauchés entre passé et attentes mutilées, nous talonnons un port où les bateaux ne savent plus où aller. Sur nos visages, la même pluie qui s’écrase, nos âmes noircies par le temps telles des ombres, par l’obscurité, rattrapées. Nos mains cueillent, de-ci de-là, quelques bonheurs fanés ; apeurées , elles vagabondent des mondes désertés. Tisserands de nos gouffres quotidiens, nous y larguons nos rêves, nos âmes et nos pensées comme des tombes attendant leur cadavre. En mal de racines, nous vomissons nos peurs engraissées, nos émotions arides. Les mâchoires cassées, nous ne cessons de crier, les dents pleines de terre. Esclaves engourdis et gangrenés, nos mains font chaîne dans la déveine. Paupières béantes et regards sourds, on plonge amères dans les dérives aux creux contours, scellant nos vies d’aveux tremblants. Cœurs muselés, on se déguise, gants de fatigue sur nos mains grises. En solitude, semblables, nos cœurs frileux sont frêles organes ; délit de fuite face au partage. Poussière sur l’âme, calme en moulage, nous mastiquons la vie sans masquer l’épuisement du galop vers le puits. Nos fatigues s’attablent aux côtés de nos peurs, pleurant nos arômes, nos sourires et ardeurs. Lacérée par nos âmes tourmentées, la Terre ne cesse de nous porter ; notre dernier soupir courant pour s’y confondre. L’homme, à la cime du monde animal, ne sait quoi faire de tout cet art entre ses mains , le projetant sans cesse dans les pas du déclin.