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Marie et Céline


Jeu d'avril 2020
Par Sylvain Prévost


Seule dans sa luxueuse villa surplombant Hollywood Boulevard, Marie profitait d'une petite pause sportive avant la venue de la société en charge du ménage. La salle de sport, qui donnait immédiatement sur l'immense parc vicinal aux accès hautement sécurisés, était particulièrement bien équipée avec sa piscine intérieure, son jacuzzi et ses multiples appareils de cardio connectés. En fond sonore, BMF TV diffusait sur écran géant les toutes premières nouvelles de l'année 2022. Malgré ce confort ouaté, Marie n'avait pas la tête au sport, sa concentration était parasitée par l'apparition de quelques joggeurs milliardaires et les images brumeuses d'une Saint Sylvestre courte et particulièrement arrosée. Elle n'avait d'ailleurs pas remis les pieds dans le salon où trônait sur la table basse la carcasse du poulet rôti de la veille flanquée de deux bouteille de Dom Perignon et d'une flûte à champagne à moitié vide. En ce samedi 1er janvier, malgré le soleil de Californie, les nouvelles n'étaient pas bonnes : Emmanuel Macron venait d'être condamné pour haute trahison, emportant dans son sillage une partie importante de la classe politique française. Il était question de crise institutionnelle profonde, de marasme économique et d'un début de révolution. Un jeune journaliste français aux allures de sainte nitouche semblait affolé par le mystère entourant la fuite de la première dame hors du territoire français. Marie éteignit le poste de télévision. La mine triste, elle remit en place ses lunettes de soleil et fut prise d'une attaque de panique à la vue d'une joggeuse qui s'était brièvement arrêtée devant la baie vitrée et qui l'observa furtivement avant de reprendre sa course. Merde ! Ramassant la tartine au brie tombée du mauvais côté sur le tapis de sol, Marie tenta de stabiliser les tremblements de ses mains : la joggeuse ressemblait trait pour trait à Céline Dion avec son short ras-la-moule, sa pochette de sport Vuitton et son allure de gazelle famélique. C'est impossible, cette garce n'oserait pas rôder après m'avoir piqué mon mari ? C'est à cause de toi si je suis cloîtrée ici, si ma vie est un désert ! Dire que cette salope a osé m'envoyer une petite culotte brodée "En marche" !

9H00. Marie s'était calmée. Réfugiée dans sa chambre à l'abri des regards, elle contemplait le jardin à l'anglaise qui brillait sous la rosée du matin. Si seulement je pouvais sortir... Le regard vague, elle songeait à l'homme à qui elle avait tout donné, celui-là même qui l'avait trahie au sommet de sa gloire. La sonnerie de son portable la fit sortir de la torpeur mélancolique. Numéro masqué.
- Allô ?... Hello ? Who's speaking ?
- Tabarnac, c'est Céline Dion ! Ne me dis-tu pas qu'on est voisines ? Veux-tu pas courir avec moé aussi ? Wô ! Allez, gros becs et crisse moé donc patience, Brigitte !

Déconfinement poker menteur (concours l'après confinement)

Ce texte remporte le concours !
Déconfinement poker menteur
Par Gilles Rigaud


Je suis heureux de ce confinement, même les crétins ont senti que quelque chose a changé.

A part pour les humains reclus, il est pour tout le reste des habitants de ce monde une bonne nouvelle ; une excellente, un magnifique nouvelle, une bénédiction. Je suis content pour eux. Triste pour nous, notre monde nous a exclu, mis en garde à vue, emprisonné. Il faut bien l’admettre, nous sommes trop cons, incapable d’être à la hauteur de l’immense investissement que la nature a mis en nous. A part pour se reproduire, ou s’entretuer, l’humain n’a jamais été l’élite des mammifères qu’il aurait dut être. Malgré ses poètes et ses machines, la simple cupidité de vivre et de posséder de la créature la plus abouti, aura mis à mal le long façonnage millénaire de la vie pour se surpasser et conquérir l’univers. Dommage !

Avec le déconfinement, l’heure des règlements de compte va commencer. Les bisness first d’Amérique du nord vont sauter sur les cupides chinois. Les théoriciens du complot de tous poils, inventent à tour de bras, une angoisse qu’internet va nous vendre à pleines brassées de paranoïas mercantiles. La croisée des chemins est là, je fais partie des joyeux drilles qui restent optimistes, en abandonnant à son sort nos activités inutiles, celles qui sont un danger pour notre monde, on se sauve. Pas de débat, pas d’état d’âmes on sauve le monde ! On laisse crever doucement les marchands de pétrole, ancien fournisseur de graisse de baleines et responsable de leur massacre, on écrase les paradis fiscaux, on coupe des têtes, on remet des mâts et des voiles à nos cargos, on met au pas les seigneurs de la céréale et du riz, c’est la révolution du virus ! En faisant du Trump nous sommes perdus ! L’Europe peut encore une fois changer le cours du destin de tous. En particulier la France mère des révolutions. Le dernier acte de la comédie humaine, promet d’être passionnant, pour nous ce sera tout ou rien. La nature elle, avec ce bijou de virus tient le bon bout, elle remet au pas sa créature hors contrôle ou le fait disparaître en détruisant son, ses modes de vie. Et si des humains sont responsables de la diffusion du virus, de l’avoir hébergé, alimenté, favorisé dans des éprouvettes, c’est encore plus savoureux pour les survivants du monde sauvage qui nous regardent en rigolant enfin un peu. Dans ma vallée si verte après les pluies printanières, j’entends le rire du renard et de la belette, le chant des oiseaux cette année raconte de nouvelles histoires. Le monde se libère de la tyrannie humaine, chaque animal retient son souffle, l’après sera meilleur ou ne sera pas.

Dans la rumeur du vent qui passe, j’entends l’augure de nouvelles menaces, et de fabuleux espoirs. La vie est une chose incroyable.



Il y a un mois que j’ai écrit ces lignes, un mois que les habitants du monde tentent de revivre leur vie d’avant, de retrouver rythme, boulot, loisir, plaisir. C’est cet après-midi alors que je roulais dans la vallée de retour de la ville, que la nouvelle est tombée à la radio : Les États-Unis de Trump viennent de déclarer la guerre à la Chine ! La voix angoissée du présentateur vedette de la chaine s’estompe dans les vitupérations du chef des armées nord-américaines. A ses dires, alors que dans tous les sondages il est en chute libre pour les prochaines élections présidentielles, les chinois sont coupables non seulement d’avoir laissé échapper le virus de leur laboratoire, mais ils l’auraient fait sciemment, en conscience, pour affaiblir les States, usurper avant l’heure la place de numéro un mondial, plonger les pays ultra-libéraux dans le chaos sanitaire. Le covid n’était pas une épidémie ! Il était une attaque chinoise, une nouvelle arme de destruction massive sélectionné dans la panoplie des coronavirus d’origine animale pour mettre à genoux la patrie de la liberté et du libre arbitre. J’entends comme dans un rêve, ou une hallucination, le discours haineux du fou furieux au toupet blond. Je l’imagine, postillonner sans masques vers ces journalistes qu’il hait, dans ce sinistre ballet qu’il nous joue depuis le début de la crise à gringoland.

Il éructe sa victoire ! Hier soir, les bombardiers de la base de Guam dans le Pacifique ont décollé, des forteresses volantes entourées d’une escadrille de super chasseurs. Ils ont volé très haut pour ne pas être inquiété par l’aviation chinoise, habituée depuis belle lurette aux provocations militaires américaines. Cette fois ce n’était plus une provocation, le roi des fous a bien ordonné de raser à la bombe géante, les trois grands ports militaires de Chine ou l’empire du levant construit la flotte qui devait lui permettre d’ici quelques années de devenir l’égal de son grand rival à la bannière étoilée.

Sous le choc j’ai stoppé la voiture, prêt de celle d’un autre automobiliste qui comme moi se tient la tête à deux mains en écoutant sa radio. Je n’en crois pas mes oreilles. Ils n’en sont pas restés là ! Des sous-marins, une dizaine au moins, ont tiré sur ordre du pentagone des dizaines de missiles sur les terrains d’aviation chinois. Débarquées depuis des planeurs furtifs à grande autonomie de vol, les forces spéciales de l’oncle Sam ont déferlés sur le siège du gouvernement à Pékin. Tous les terrains conquis sont immédiatement soumis au couvre-feu meurtrier de milliers de drones et de chars d’assauts robotisés largués depuis des navires de guerre au large des côtes du pays.

Trump affirme que les membres du gouvernement ennemi sont tous prisonniers de son armée, que ses soldats ont neutralisé le haut commandement de l’armée, que déjà des militaires, scientifiques de haut rangs, fouillent dans les laboratoires d’état chinois pour y chercher le vaccin fabriqué depuis des mois et des mois en secret par le parti communiste et distribué sous couvert de vitamine à la population pour l’immuniser à son insu. Le plan de départ des marxistes, dixit le nabab du bêton, était de démontrer la supériorité du régime de Pékin sur les démocraties occidentales dans la gestion d’une pandémie, puis d’assujettir définitivement la population mondiale par un chantage au vacin.

Je baisse le son de la radio, je tremble. Moi fils de résistant, petit-fils de poilu, héritier du sacrifice de ceux qui ont juré le plus jamais ça, je vais vivre une guerre, l’ultime, la définitive.

Ma première angoisse est de savoir comment je vais expliquer ça aux enfants. Qu’un fou ressurgit des enfers et ses faucons dégénérés viennent de nous inventer une nouvelle réalité et déclencher l’enfer. Je me souviens des récits de mon père sur la drôle de guerre en 39, sur ces années de dérive ou l’hitlérisme montait en Allemagne sous le regard cossu des bourgeois d’Europe. Ce que nous vivons depuis que le grand fou a été élu par le peuple américain crétinisé par la télé, internet et mac Donald, est de cet ordre. Une fois encore notre lâcheté nous perd.

L’ordure a expliqué que l’Otan, les alliés européens, sont avec lui et vont saisir bien et intérêts chinois partout dans le monde. L’inde avec qui il s’est arrangé, a attaqué la Chine par l’ouest, envahissant au passage le paisible Boutan. Il prophétise que si la Russie vient en aide à son allié rouge, il rasera Moscou à grand coup de missiles nucléaires.

Là, je comprends qu’on parle bien d’une guerre mondiale qui vient de se déclencher ! Que notre fin est là, dans les paroles d’un dément qui se prend pour l’envoyé de Dieu ici-bas. Encore une fois ! Putain !

Je repense aux apéro de l’été dernier, en famille, assis sur la terrasse du chalet face à l’éternelle montagne ont supputé de futurs plus ou moins radieux de nos descendances. L’idée d’une guerre majeure avait été exclu d’office, on irait vers des tensions, mais l’argent roi nous protégeait, la cupidité, le consumérisme nous protégerait d’un conflit mondial. Trump était vu comme un épicier, l’illuminé à la tête de la Chine comme d’un sage ou presque.

C’était avant le covid 19, avant le surréalisme de cette pandémie qui en six mois a dévasté nos modes de vie, nos certitudes, vu toutes les théories du complot enfler jusqu’à noyer l’idée même d’une vérité, d’une commission d’enquête indépendante, d’une quelconque analyse rationnelle de la situation. Notre monde dominé, dirigé, managé par des commerciaux et quelques ingénieurs depuis des décennies, se décompose devant nos yeux, sans que nous sachions quelle réalité il faut croire. Nous ne pouvons plus bouger, ni faire autre chose qu’obéir. Impuissance, désespoir, après le virus invisible, les vendeurs de cochons viennent de nous ressusciter l’ultime grand fléau : la guerre ! Une guerre dont nous ne serons jamais si elle repose sur des faits, ou l’interprétation d’un dément fou d’hégémonie commerciale !


Je redémarre, le tocsin sonne aux églises des villages. A la radio, on nous annonce pour ce soir un grand discours présidentiel pour nous expliquer la position de la France, l’état de son armée, la volonté sans faille de nos dirigeants...bla bla bla bla. Tout le reste du trajet, anxieux, je repasse en revue les mille coins de la terre ou nous avons trainé avec Morgane notre voilier en trente années de navigation. Où va-t-il falloir nous réfugier ? Au fin fond des Tuamotu ou nous avons vécu si heureux et nues dans les lagons merveilleux ? Dans les fjords profonds de Patagonie et de terre de feu, à manger des crabes innombrables, à chasser au Walhalla des canards vapeurs, des oies sauvages ? Rester dans nos montagnes subir le destin avec nos amis, ce peuple français si solidaire, si aimable ? Je ne sais ! Le Pearl Harbour chinois, je n’y crois pas. Même décapité, un milliard trois cent millions d’individus qui ne connaissent que la dictature et la répression vont se mettre en guerre ouverte. Notre civilisation, notre monde s’arrête là. Personnellement j’en suis presque soulagé, l’augure de léguer à nos enfants une nature exsangue pour les voir s’étioler et crever du réchauffement climatique ne me réjouissait guère. La guerre va régler ces incertitudes hypocrites. Alors que les lumières encore allumés du village se profilent au fond de la vallée, dans ce calme olympien des sommets encore enneigés, que les sombres forêts où nous chassons depuis des millénaires disparaissent dans l’obscurité de la nuit, je me demande soudain : putain ou es ce que j’ai mis mon flingue ?

Concours l'après confinement (texte 2)

Par Stéphanie Verjat


La veille : 20h tout le monde est derrière son écran, pendu aux lèvres du Président « Chers compatriotes, ce virus est une vaste supercherie. Nous venons d'apprendre par la Maison Blanche que Covid-19 est une guerre chimique réussie lancée par la Corée au
reste du monde. C'est une conspiration pour écraser toutes les grandes puissances mondiales. »

Jean, derrière son écran s'exclame : « Intox : ils sont devenus fous ! » Il décide de se lancer dans la recherche de la Vérité. Jean n'est heureux que d'une chose : La fin du confinement a enfin été proclamée !
Dans l’euphorie de pouvoir enfin goûter à la vie extérieure, Jean saute sur son vélo et pédale longuement. Il découvre que l’air de la ville est respirable, de la pelouse a poussé sur le goudron des routes tellement la Nature a pu reprendre ses droits. Il voit des papillons de toutes les couleurs voler autours de lui, des coccinelles à profusion, des fleurs de toutes les espèces, au fil de sa route.

Les oiseaux ont repeuplé la ville avec leurs chants et
ritournelles. Il y a même des fruits sauvages qui bordent le chemin. Jean n’arrive pourtant pas à oublier les déclarations du Président et cela l’empêche de se délecter totalement. Il va voir son ami, Nicolas et lui demande de l'aider dans sa quête de la Vérité. « Je ne peux pas croire que la main d'un seul homme ait pu soumettre le monde de la sorte » Nicolas lui demande : « Alors que crois tu que ce soit ? » Jean : « Je ne sais pas encore mais je compte bien en résoudre l'énigme. »
JOUR 1, journal de 20h « les stations d'essence ne seront plus approvisionnées : C'est officiel ! Nous endurons le plus grand Crash boursier que le monde n'ait jamais connu. L’industrie agro-alimentaire a fait faillite. Les laboratoires pharmaceutiques sont à court de matières premières. Un sommet doit se tenir au sein de la banque mondiale pour permettre à chaque pays de redémarrer et se reconstruire. »

Jean trouve qu’il y a du bon pour la planète et que l'Humain va peut-être se remettre en question, dans ce qu'il entend mais il se demande si les médias cherchent à hypnotiser le peuple et il demeure septique.

Il fait appel à son ami journaliste, Pascal, chargé des affaires d'État et lui demande de se focaliser sur la sortie de crise pour lui donner le plus d’informations possible sur ses investigations de journaliste.
Pascal est le rare à pouvoir infiltrer le sommet de la banque mondiale qui se tient à Paris. Il apprend qu’un dictateur africain met en branle les puissances du Monde en leur menaçant de « réitérer le lancement d'un nouveau virus Covid si la dette de l'Afrique n'est pas apurée par le vote d'une décision unanime de remettre tous les compteurs bancaires à zéro. » Les Puissances ont des sueurs froides et réalisent le préjudice enduré par la première vague de ce virus, l’endettement de leurs propres pays respectifs. Ils savent qu'une seconde vague
serait meurtrière. « Allo, Jean ! C'est Pascal. Je tiens un secret d’État entre les mains : Ce n'est pas la Corée qui a été à l'origine de cette guerre chimique. Nous sommes à 10 000 lieux de cela. »
« Que veux tu dire par là, Pascal ? »
« Il a fait fort... Il a fait très très fort ! »
« Mais de qui tu parles ? » demande Jean à Pascal.
« Je ne suis pas libre de parler », répond Pascal, un pistolet sur la tempe. « Je dois raccrocher. »
« Pascal ? Pascaaaaaaaal ! »
Jean s'en veut d’avoir exposé son ami à un tel danger. Il sait au fond de lui que l'Essentiel est d’être en Vie.

Jour 2 : « Le marché du sucre a décuplé. Celui du café a centuplé. Tant que le sommet mondial n'a pas pris de décision, nous devons continuer de fermer les frontières et interdire l'import-export. Le sommet de la Banque Mondiale se tient actuellement à Paris et nous n'en connaissons pas l'issu. Que vont décider les Présidents réunis ? » Devant ces réalités, les producteurs sont sollicités et les achats de leur produits sont négociés à la hausse. Les fermiers vendent leur lait 2€, les fruits et légumes 2,50€ le kilos. Le Bio est revalorisé et les producteurs ont des primes. Jean se demande s’il est judicieux de poursuivre sa quête de la Vérité, voyant l'impact positif de cette crise et que tout s’inverse : Le travail est revalorisé, l’agriculture est impacté et pleinement relancée, avec l'émergence de la permaculture et l'interdiction d'utiliser quelconque pesticide. L'industrie voit de nouveaux modes de management émerger, remettant l'Humain au cœur et n’étant plus à la course à la productivité mais misant plutôt sur la qualité. Les colorants et conservateurs sont interdits.
Jean envoie un message à Pascal : « Surtout ne prends aucun risque. A quoi bon ? Que demander de plus ? Regarde : Enfin les agriculteurs ont gagné la reconnaissance qui leur est due, l'Humain est redevenu la préoccupation première dans le monde professionnel. Même les infirmiers et le corps médical a eu gain de cause : ils ont eu une sacrée prime de par leur service endurant pendant la pandémie et même leur salaire à chaque échelon a été revalorisé à leur juste valeur. »

Pascal porte en lui le lourd secret de ce qu'il a entendu au sommet. Il sait aussi que ses concitoyens seront hypnotisés comme cela a toujours été par les médias Jour 3 : Journal de 20h : « Nous voyons peu à peu l’économie repartir à la hausse. La France redémarre et va pouvoir sortir de cette impasse qui aurait pu être tragique. Nous apprenons que le Président de la Corée du Nord est sous surveillance.
Donald Trump a missionné une enquête pour tirer au clair son implication dans cette épisode de pandémie qui a ébranlé le monde entier. »
Pascal se sent seul, très seul. Il aimerait pouvoir au moins confier ce qu’il a vu, et entendu de ses propres oreilles mais il y a un droit de vie ou de mort sur lui. Il aimerait pouvoir se révolter mais il se résigne à garder le silence. Il réalise que cette pandémie a changé le Monde mais cela n'a aucunement
changé la corruption des médias. Peut-être qu'un jour, la Vérité coulera sous le sens. Le temps fera son ouvrage. 

Jour 4 : Jean invite Pascal et Nicolas et ils partagent tous 3 un bon repas fait maison, avec des produits de producteurs locaux. Pascal ne semble pas totalement dans son assiette mais il parvient à se délecter de ce bon moment entre amis qui lui avait tellement manquer tout au long du confinement.

La Peste ou le corona (concours l'après confinement)

La peste ou le corona
Par Sylvain Prévost












Journal de bord 17 mars 2038 10H30

Aujourd’hui est un grand jour puisque cela fait 18 ans que je suis confiné chez moi, tout comme mes voisins et les habitants de ma ville. Est-ce la même chose pour l’humanité toute entière ? En l’absence de télévision et d’internet, je ne peux vous répondre. Les dernières informations qui me sont parvenues datent du 2 juillet 2037 avant la coupure généralisée des systèmes de communication. A cette date, la moitié de l’humanité avait été décimée que ce soit par le virus ou BFM TV. Cet événement m’avait profondément marqué et j’avais d’ailleurs écrit un long article dans ce même journal, mais vous le savez déjà. Ce jour là, le Président Macron avait fait une allocution très regardée rappelant que depuis juin 2020, les scientifiques n’avaient pu contrer les mutations successives du virus. Toute sortie à l’extérieur étant impossible sans masque à gaz, il n’y avait plus assez de personnel pour assurer le fonctionnement des télécommunications. Je vous retranscris ci-après un extrait de cette allocution : “Le secteur agroalimentaire doit continuer de fonctionner pour fournir à la population la nourriture quotidienne nécessaire. A cet égard, je vous rappelle qu’il ne faut consommer que le panier repas Danone qui vous est livré chaque jour, la consommation des fruits et légumes de vos jardins étant mortelle. Je vous le redis, n’ouvrez pas vos fenêtres ! Il est extrêmement dangereux de respirer l’air extérieur depuis la dernière mutation du virus. N’ouvrez votre porte qu’une fois par jour pour récupérer votre panier repas Danone. Mes chers compatriotes de France et d’outre mer, j’annonce ce soir la coupure provisoire d’internet et de tout autre moyen de communication, à savoir téléphone portable, télévision et GPS. Vous serez informés quotidiennement par la revue gouvernementale dont l’impression et la distribution continueront à être assurée. Chères françaises, chers français, nous vaincrons et trouverons un moyen de récupérer nos vies. Vive la République et vive la France”. Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire ici, depuis mars de l’année 2020, aucune élection n’a pu être organisée, aucune manifestation culturelle n'a pu avoir lieu, aucun match de foot n'a pu être joué. Emmanuel Macron était resté président de la république par la seule force des choses et le temps s'était comme figé depuis. Durant cette ultime allocution, j’avais trouvé qu’il avait une mine épouvantable, comme usé jusqu’à la corde. Peut-être était-il déjà atteint par le Covid37 ?

Journal de bord 27 mai 2039 20H05

Quelqu’un lit-il ce journal ? Je l’espère… Il ne reste qu’une seule page avant la fin du carnet. Que vais-je faire ? Ce journal est ma seule activité depuis que les panneaux solaires sont tombés en panne. Depuis deux jours, il n’y a ni panier repas Danone ni revue gouvernementale devant ma porte. Suis-je le seul survivant de cette épidémie ? Combien de temps tiendrai-je sans manger ni boire ? Aujourd’hui, pris de panique et assoiffé, je suis sorti dehors pour la première fois depuis 19 ans mais je n’ai pas reconnu mon quartier : une végétation luxuriante et sauvage a recouvert tout le bitume, tous les bâtiments. Il n’y a plus aucune rue, plus de trottoir, plus de mobilier urbain. Puisant dans mes souvenirs à la recherche du bon itinéraire, lacéré par des ronces géantes, je suis parvenu jusqu’à la place de l’église et j’y ai vu une meute de loups, des sangliers, des oiseaux et papillons par centaines. Des peupliers avaient poussé à l’intérieur de l’église et leurs branches jaillissaient à travers les vitraux écorchés. En rentrant chez moi, je me suis mis à pleurer en réalisant ma solitude et mon inconscience d’être sorti sans protection. La nuit commence à tomber et je ne peux continuer l’écriture de ce journal. Je vais sans doute mourir, de soif ou d’infection. Prenez soin de vous, restez chez vous !


Journal de bord, 12 juillet 2039 18H15

Le confinement est terminé, c’est incroyable ! C’est écrit en une de la revue gouvernementale ! Je n’en croyais tellement pas mes yeux que j’ai tergiversé cinq heures avant d’ouvrir la porte et oser faire un pas dehors. Derrière la maison, j’ai croisé la boulangère, je lui ai fait un timide signe de la main mais elle ne m’a pas reconnu. Enfin il me semble que c’était elle, j'ai cru reconnaître ses miches… Il faut dire que les gens changent après 19 années confiné. Je me rappelle vaguement de son mari, un homme rustre et laid qui crachait dans le pétrin. Un vrai con fini… Agrafé à la revue gouvernementale, un carton d’invitation m’indique qu’une réunion d’information aura lieu demain dans la salle des fêtes de la ville. Ma présence est obligatoire... Je ne sais pas à quoi m’attendre mais j’ai peur de voir à nouveau du monde. Combien serons-nous ? A quoi ressemble la vie dehors ? Moi qui pensais être le seul rescapé de cette pandémie !


13 juillet 2039 12H00 Salle des fêtes 


Lorsque j’arrive devant la salle des fêtes, une foule compacte m’attend devant le perron. Je remarque qu'il n'y a que des hommes et que chaque individu porte comme moi un vêtement vieilli ou rapiécé ainsi qu'une barbe fleurie. Un homme au regard fuyant (un organisateur ?) s'approche et colle une étiquette sur mon pull. Je suis le numéro 699. A cet instant, personne ne bouge, personne n’ose s’approcher à moins d’un mètre les uns des autres. Je me sens à la fois étranger et familier dans cette assemblée de gens disciplinés à l’allure simplette. Ce moment figé me donne l’impression d’assister à un conseil presbytéral au sein d’une communauté amish. Soudain, l’écran géant qui avait été installé sur l’estrade se met en route et une femme blonde d’une quarantaine d’années au visage austère prend la parole.
“Mes chers amis, le grand jour est arrivé. Nous venons de passer vingt longues années coupés de l’ancien monde. Mes chers amis, ce que vous avez enduré n’aura pas été vain : regardez autour de vous, l’Homme a cessé ses activités destructrices, la nature a repris ses droits ! Je vous dois des explications, j’en ai conscience. Il y a vingt ans, le 1er septembre 2019, la mission secrète Rebirth dirigée par le professeur Oscar Von Riu a propagé pour la première fois dans la nature le virus responsable de la pandémie Covid19. Ce virus a bien été transmis par zoonose mais avait préalablement été fabriqué de toute pièce en laboratoire. Dès l’origine, notre plan était simple : grâce à des chauves-souris, nous devions propager depuis la Chine un virus inconnu et très contagieux à l’échelle mondiale avec pour objectif de mettre à l’arrêt l’économie et le libre-échange. La phase deux de notre plan a débuté quelques mois plus tard au moment où les scientifiques américains ont découvert puis commercialisé un vaccin. Nous avons alors propagé un nouveau virus responsable du Covid20, beaucoup plus agressif, avec pour objectif le confinement prolongé des populations. Successivement, les industries polluantes telles que les compagnies pétrolières, l’automobile, le secteur aérien et le transport routier se sont arrêtées puis dans un second temps les secteurs de l’énergie, de l’agroalimentaire et des télécommunications n’ont pas trouvé assez de main d’oeuvre pour prospérer, les travailleurs ayant fait valoir leur droit de retrait face à la virulence de l’épidémie. Comme vous le savez, chacun d’entre vous a survécu grâce aux petits producteurs de vos villages qui ont oeuvré chaque jour pour produire localement et sous serres l’alimentation nécessaire à la population. Ce sont nos équipes qui vous ont distribué ces derniers mois le panier repas quotidien ainsi qu’une version modifiée de la revue gouvernementale. Dès que nous avons obtenu l’arrêt des télécommunications, nos forces armées secrètes se sont attelées à supprimer les grandes figures du capitalisme forcené : Bill Gates, Mark Zuckerberg, Jeff Bezos ainsi que des milliers de magnats du milieu de la finance ou du luxe ne sont plus. La bataille n’a pas été facile, mes amis : à chaque fois que la communauté scientifique découvrait un vaccin, nous étions dans l’obligation de riposter en propageant une mutation du virus toujours plus agressive. Bien sûr il y a eu des résistances, le vieux monde refusait de mourir. Mes chers amis, je suis fière aujourd’hui de vous annoncer qu’il ne reste qu’un milliard d’êtres humains sur Terre ! Vous êtes les survivants de cette guerre ! Nous avons vaincu le capitalisme et fait tomber tous les gouvernement du globe. Tous les dictateurs ont été supprimés et aucune élection n’a eu lieu depuis 20 ans dans les démocraties. Nous sommes désormais libres de prendre un nouveau départ et prêts pour sauver notre planète. Je vous dévoilerai en détail mon projet de société dont les fondements seront la science au service de la nature, l’agriculture raisonnée avec circuits de distribution ultra courts, un plan d’éducation massif pour réapprendre à vivre ensemble dans le respect de nos écosystèmes, un contrôle strict des naissances pour parvenir à une vie sobre, heureuse et équilibrée. J’annonce dès à présent la fin des inégalités : chacun d’entre vous et les générations à venir devront se former aux métiers indispensables pour bâtir le nouveau monde que nous souhaitons. Vous recevrez la même somme d’argent chaque mois, que vous soyez médecin, ingénieur, agronome, architecte, artiste, professeur. Chacun devra oeuvrer à son niveau pour la collectivité. La technologie ne sera plus au service des puissances financières mais au service des Hommes. Mes chers amis, je compte sur vous pour bâtir ce nouveau monde de vos mains !"
                                                       Greta Thunberg.

Anagramme Viral (concours l'après confinement)

Anagramme viral
Par Blues Mama

Le 11 Mai approchait et c’était comme de sortir d’une longue hibernation. On sentait frémir un vent de liberté et déjà certains bravaient les interdits en se réunissant en bas de l’immeuble à l’heure du coucher du soleil, juste pour capter un peu de fraîcheur. Certes, on gardait ses distances et on évitait de se toucher, même si la tentation de se serrer dans les bras était grande. Encore quelques jours, et la vie reprendrait comme avant. Le Président l’avait promis lors de sa dernière intervention télévisée : l’heure était venue de sortir du confinement. Il avait longuement réfléchi, consulté tous les experts patentés, qui n’étaient pas tous d’accord, mais il avait pris sa décision : il était temps que nous reprenions le cours normal de nos vies. D’ailleurs, dans les pays voisins, et même lointains, on avait déjà desserré l’étau et autorisé la reprise de certaines activités. Les enfants avaient eu la permission de sortir deux par deux, une fille et un garçon, avec juste l’obligation de ne pas raconter aux adultes ce qu’ils avaient vu dehors. D’ailleurs, à leur retour, à l’heure du dîner, ils étaient restés mutiques, malgré les tentatives de leurs parents de leur tirer les vers du nez. Ils semblaient ailleurs, ne réclamaient pas de dessert, et allaient se coucher sans rechigner. Une certaine lueur brillait dans leurs yeux. Mais ils restaient silencieux, ce qui créait un certain malaise. Puis cela avait été le tour des femmes : elles aussi pouvaient sortir, dès le lever du soleil, sans maquillage et pieds nus. Quel que soit leur âge, elles pouvaient aller et venir dans leur quartier et, à condition de ne pas les approcher à plus de 2m, elles pouvaient se mêler aux enfants, sans les déranger. Et ce qu’elles avaient vu devait être étonnant, car au retour, le soir, elles aussi avaient dans les yeux cette lueur étrange, mais aucun son compréhensible ne sortait de leurs bouches. Elles semblaient calmes, fredonnaient en sourdine et leurs gestes étaient lents et harmonieux, que ce soit pour brosser leurs cheveux ou préparer le repas. Mais elles ne disaient rien et allaient se coucher tôt, sans regarder la télévision. Les hommes étaient désemparés, mais n’osaient pas les bousculer, espérant que ce serait enfin leur tour d’être libérés bientôt. 
On en était là. C’est sans doute cette sérénité étrange observée dans les pays voisins qui avait incité le président à décider de la sortie du confinement chez nous aussi le 11 Mai, sans préciser cependant si ce serait les femmes et les enfants d’abord. Et les hommes de chez nous n’avaient pas l’intention de sortir les derniers. Ils prenaient donc les devants. 
Il y avait si longtemps qu’ils s’étaient laissés enfermer, sans broncher, eux les cadors, les gros bras, les rebelles, les chefs de famille, les décideurs, les premiers de cordée, qu’ils essayaient aujourd’hui de reprendre la main. Enfin, façon de parler, puisque la main, justement, il fallait la laisser dans sa poche, ne plus la tendre à son voisin, par solidarité. La poignée de mains, franche et virile, n’était plus de mise. Le poing tendu non plus d’ailleurs. Et ils ne savaient plus très bien que faire de leurs mains, nos hommes, et ils les mettaient dans leurs poches, ou les frottaient l’une contre l’autre, ou faisaient craquer leurs doigts. Ils cachaient leur gêne en haussant la voix, en riant très fort, ne pouvant plus se taper sur l’épaule. Puis ils remontaient vite chez eux, le 11 Mai n’était pas encore là. Bientôt, ils sortiraient, les femmes et les enfants derrière. Comme toujours. 
Cependant, à l’étranger, les hommes ne sortaient toujours pas. Certes, les statistiques avaient eu raison d’eux. Les victimes du coronavirus étaient plus souvent des hommes, et sans doute fallait-il être prudent, et ne pas les exposer trop massivement. Le pic pourrait repartir et tout serait à recommencer. Mais il allait bien falloir prendre le risque. Pourquoi attendre ? D’ailleurs, les enfants et les femmes ne semblaient pas en danger, alors pourquoi ne pas donner aux hommes le droit d’aller affronter le monde extérieur ? Les autorités ne donnaient pas d’explications. Le président avait été assez évasif sur 
ce point. Il n’avait pas commenté cette anomalie. Il avait juste donné une date : le 11 Mai. OK, le 11 Mai, mais pour qui ? L’inquiétude commençait à se faire sentir. 
Les femmes tentaient de rassurer leurs compagnons. Elles promettaient qu’elles ne sortiraient pas sans eux. Les enfants se taisaient prudemment. Ils voyaient bien que leurs pères étaient tendus et que quelque chose d’inhabituel se tramait. Ils allaient retourner à l’école, sans doute. Mais si leur maître ou leur professeur n’étaient pas là, seraient-ils obligés de rester à la maison avec leurs pères ? Qui devraient surveiller leurs devoirs ? La perspective ne les amusait pas et ils filaient doux. Les célibataires, n’avaient personne pour les rassurer, même pas leurs potes qu’ils n’avaient plus revus depuis leur enfermement réciproque. S’ils s’appelaient ou échangeaient par mail, ils n’osaient pas évoquer leurs craintes, de peur de les voir se réaliser. Et s’ils n’avaient plus le droit de sortir sans attestation ? 
Curieusement, la peur du virus assassin semblait s’être envolée. C’était une autre peur qui planait, comme si, soudain, la terre s’était mise à tourner à l’envers. Parce que, ce virus, finalement, était-il si dangereux ? Pourquoi avaient-ils accepter si facilement d’être retirés du jeu ? Pourquoi avaient-ils laissé le piège se refermer sur eux, sans anticiper une échappatoire ? Pourquoi n’avaient-ils pas protesté, réagi quand ils étaient encore aux manettes du monde ? Et si le monde se mettait à tourner sans eux ? Alors ils descendaient en bas de l’immeuble, les mains dans les poches ou faisant craquer leurs doigts, parlant fort et riant jaune, leurs attestations pliées en quatre dans leurs portefeuilles. Et ils remontaient vite, parce qu’on n’était pas encore le 11 Mai. Et ils buvaient un verre, pour se remonter le moral, se donner du courage. Et ils fumaient, parce que la nicotine semblait protéger du virus. S’ils étaient fumeurs, ils pourraient peut-être sortir ? Leurs bonnes résolutions d’avant le confinement s’évanouissaient dans les volutes de fumée, qui les faisaient tousser. 
Les infos à la télé ne parlaient que du déconfinement à venir, sans donner plus de détails cependant. Certaines activités allaient reprendre, mais la plupart étaient typiquement féminines : les salons de coiffure pour femmes en premier lieu, les aides maternelles, les assistantes sociales, les femmes de ménage. Pour elles, il semblait que le 11 mai sonnerait leur libération, sans limitation. Les crèches et les écoles maternelles ouvriraient toutes ce jour-là, et les maitresses d’école seraient autorisées à ré- ouvrir leurs classes. Les assistantes de direction et les attachées parlementaires avaient déjà des autorisations exceptionnelles de sortie pour se préparer à la reprise, mais rien pour les directeurs, PDG et autres chefs d’entreprise, hormis les petites entreprises dirigées par des femmes, qui étaient assez rares, tout compte fait. On devinait une certaine effervescence feutrée dans les foyers, où la gente féminine commençait à s’affairer discrètement. Les hommes s’énervaient sur leur clavier, cherchant sur le Net des raisons de se mettre en mouvement, échafaudaient des hypothèses, théorisaient des complots, incrédules, déstabilisés. Mais que se passait-il ? 
Ils étaient inquiets. Fallait-il laisser les femmes et les enfants s’exposer ainsi ? Après tout, nous sortions à peine d’une pandémie mondiale, qui avaient fait des milliers de morts. Le risque planait toujours au- dessus de nos têtes. Mais aussitôt, le doute s’insinuait en eux : qu’en était-il réellement de cette pandémie ? Cela faisait des semaines que les radios et les télés égrenaient le nombre de morts tous les soirs et nous rabâchaient les consignes à observer. Se laver les mains, encore et encore, s’éloigner les uns des autres, garder ses distances, ne plus s’approcher de ceux qu’on aimait, pour les protéger bien sûr, mettre un masque, même si le masque était interdit dans l’espace public depuis quelques années déjà. Le paradoxe de ces injonctions leur sautait soudain aux yeux et les oppressait. De quoi avaient-ils eu peur ? De quoi devraient-ils avoir peur maintenant ? Ils étaient grands et beaux et forts et ils étaient confinés et rien n’assurait qu’ils pourraient reprendre leur liberté le 11 Mai. D’ailleurs, de quelle liberté rêvaient-ils ? Car finalement, ces semaines de confinement, au début, ils avaient trouvé ça plutôt inespéré. Ce coup d’arrêt brutal dans leur vie trépidante avait été comme un électrochoc. Ils ne l’avaient pas discuté, ni remis en cause. Ils n’avaient pas douté du bien-fondé de cette décision, 
malgré la catastrophe économique qu’elle présupposait. Et il avait cru leur Président quand celui-ci avait affirmé que c’était la seule chose à faire, « quoi qu’il nous en coûte » ? Avaient-ils réfléchi à ce que cela allait nous coûter ? Avoir cédé à la peur valait-il ce prix-là ? 
Et voilà que maintenant les enfants et les femmes étaient autorisés à sortir et revenaient à la maison, une étrange lueur dans les yeux et entourés d’un halo de sérénité incompréhensible. Enfin, chez nos voisins, si l’on en croyait ce que les reportages nous montraient. Qu’allait-il se passer le 11 Mai ? 
Le printemps s’était bien installé et explosait partout, dans les chants d’oiseaux qu’aucun son parasite ne venait perturber, dans la douce lumière du matin, dans la fraicheur des jeunes pousses, dans les odeurs piquantes du dehors. Il nous appelait et nous l’entendions d’autant plus que nous en étions privés. Est-ce à cet appel que répondaient spontanément les enfants et les femmes ? Les hommes aussi ressentaient cet appel et trépignaient. Pourquoi leur interdirait-on de goûter à ce renouveau ? Ces questions se bousculaient dans leur tête mais ils ne trouvaient pas de réponse. 
Quelques jours avant le 11 Mai, juste après la Fête du Télétravail du 1er Mai, le Président intervint à nouveau pour préciser les modalités qu’il avait finalement retenues pour sortir du confinement. Sagement, il avait choisi de s’aligner sur la doctrine des pays voisins : ce serait les femmes et les enfants d’abord. Enfin, d’abord les enfants, deux par deux, une fille et un garçon, et à la condition de taire ce qu’ils verraient à l’extérieur, puis les femmes, qui pourraient sortir sans maquillage et pieds nus, dès le lever du soleil. Cela serait applicable dès le lendemain pour les enfants, le jour suivant pour les femmes. Il ne précisa rien de plus, rien concernant le déconfinement des hommes. Cette annonce provoqua des remous dans les chaumières. Les enfants étaient surexcités et furent envoyés rapidement dans leurs chambres par des pères excédés mais impuissants. Les mères et les épouses n’intervenaient pas, baissant les yeux pour que l’on n’y voit pas briller la joie trouble que leur procurait cette décision. Elles étaient tristes pour leurs compagnons, mais n’y voyait aucune injustice. Ou alors la réparation d’une injustice ancestrale que leurs aïeules avaient subie depuis des lustres. La roue tournait, le monde d’après allait peut-être réellement changer. Elles l’espéraient sans trop y croire et, malgré leur promesse des jours précédents, sans le dire elles étaient bien déterminées à sortir dès le lendemain, et sans les hommes. Par curiosité, avec une pointe de perplexité un peu anxiogène, néanmoins : qu’allaient-elles trouver dehors ? Et pourquoi ce choix ? Elles dormirent mal cette nuit-là, et seules. Les hommes rongeaient leur frein, comme un chien ronge son os. Il ne fallait pas s’approcher. 
Les très jeunes hommes imaginaient des stratégies pour désobéir. Certains pensaient se mêler aux enfants. Après tout, ils sortaient à peine de l’enfance et si on leur appuyait sur le nez, il en sortait encore du lait. C’est ce que leur répétaient leurs parents ou leurs grand-frères avec ironie, lorsqu’ils se prenaient pour des hommes. D’autres envisageaient sans vergogne de se glisser au milieu des femmes. Leurs traits fins, leurs voix douces et leurs silhouettes androgynes leur permettraient de passer inaperçus au milieu de leurs mères, leurs sœurs, leurs amies, avec qui ils avaient grandi et dont ils connaissaient bien les codes. Il leur suffirait de raser de près leur duvet au menton et leurs jambes élancées, et on n’y verrait que du feu. Ils sentaient monter en eux cette part de féminité qu’ils n’avaient jamais oser exprimer, mais qui était vivante et n’attendait que le moment opportun pour s’exprimer. Ils se sentaient prêts. 
Leurs aînés ne projetaient rien de tel, bien sûr. Il eut été difficile pour eux de se faire passer pour des enfants (quoi que !), ou de se travestir au point de passer inaperçus au milieu des femmes. Ils n’en avaient même pas l’envie. Ils luttaient contre leur désir de rébellion, essayaient de dompter la colère qu’ils sentaient monter en eux, ironisaient sur la nécessité qu’auraient rapidement les femmes et les enfants de réclamer leur déconfinement, prodiguaient des conseils de prudence, mais se sentaient profondément humiliés, blessés et commençaient à douter d’eux-mêmes. Ils auraient volontiers 
pleuré, de dépit, de rage, mais ils ravalaient leurs larmes et incriminaient les pollens qui pénétraient dans les maisons par les fenêtres ouvertes pour justifier leurs yeux rouges. Ils se sentaient abandonnés mais ne l’auraient jamais avoué. Certains se tapaient la tête contre les murs, d’autres frappaient à coups de poing sur tout ce qui était à leur portée, d’autres encore mettaient la musique à fond pour cacher leurs hurlements. Chacun essayait de trouver en lui la ressource salvatrice et le temps faisait son œuvre. Les femmes se tenaient à distance, conscientes qu’elles ne pouvaient pas les aider malgré la tendresse qu’elles éprouvaient devant leur vulnérabilité. Les gestes barrière et la distanciation sociale leur interdisaient de les prendre dans leurs bras. La solution était ailleurs. Elles espéraient la trouver le surlendemain, lors de leur première sortie libre. 
Les enfants se levèrent tôt ce matin-là, avant le lever du soleil, sans faire de bruit. Ils se lavèrent longuement les mains, comme on le leur avait appris, puis, sans demander la permission, ils sortirent de la maison, chacun à la recherche de sa chacune, fille, garçon, ce qui n’était pas dans leurs habitudes. Mais ils étaient si heureux de pouvoir courir au-delà du périmètre de sécurité où ils avaient été contraints depuis presque 2 mois qu’ils acceptaient volontiers cette nouvelle règle. Les garçons se faisaient des clins d’œil complices, et les filles de petits signes de la main, mais ils restaient sagement deux par deux et se regardaient du coin de l’œil, s’apprivoisaient et échangeaient quelques mots. Ils regardaient le monde autour d’eux et le jour qui se levait et tout était à sa place. Les rues, qu’ils connaissaient bien, étaient vides et ils s’aventuraient à les traverser en dehors des clous, puis à marcher en leur milieu et peu à peu, ils occupèrent tout l’espace. Ils regardèrent le ciel, où brillaient encore quelques étoiles, et certains les reconnurent. Il y avait Vénus, qui brillait plus fort que les autres, la grande Ourse et la constellation d’Orion. Leurs muscles se déliaient, ils étendaient leurs bras et leurs jambes, testaient leur élasticité, et se sentaient pénétrer d’une énergie nouvelle et ils éclatèrent de rire. Il n’y avait aucun virus, couronné ou pas, il n’y avait que le Ciel au-dessus de leurs têtes et la Terre sous leurs pieds et ils pouvaient les réunir et leurs yeux brillaient. Aujourd’hui, le monde leur appartenait et ils avaient conscience de la chance inouïe qui leur était donnée de se l’approprier. Alors ils firent ce qu’ils avaient toujours su faire : ils jouèrent. Et le premier jeu qui leur vint à l’esprit fut la marelle. Ce jeu universel qui unit la Terre et le Ciel, en faisant appel aux qualités d’équilibre et de justesse des enfants. Partout, deux par deux, ils tracèrent des cases sur le sol, lancèrent la pierre à tour de rôle, et sautèrent par-dessus les cases depuis la Terre jusqu’à rejoindre le Ciel, puis du Ciel jusqu’au retour sur Terre. Et ils n’en finissaient plus de faire des aller-retour entre le ciel et la terre, sautant, riant, et s’applaudissant, jusqu’à la nuit tombée. Ils n’avaient pas croisé le coronavirus, mais ils avaient vu l’Orion sacré et ils étaient remplis de son énergie mythique. Et ils s’aimaient. Au retour, ils se prirent par la main, ils n’avaient plus peur. 
Ils étaient rentrés chez eux à l’heure du souper. Ils restèrent mutiques, malgré les tentatives de leurs parents de leur tirer les vers du nez. Ils semblaient ailleurs, ne réclamaient pas de dessert, et allèrent se coucher sans rechigner. Une certaine lueur brillait dans leurs yeux. Mais ils restaient silencieux, ce qui créa un certain malaise. 
Le lendemain, ce fut au tour des femmes de s’éclipser discrètement. Les enfants étaient déjà dehors. Elles s’étaient préparées vite, n’ayant pas eu besoin de se maquiller. Le jour se levait à peine lorsqu’elles sortirent pieds nus, avançant précautionneusement pour ne pas se blesser les pieds. Il leur fallu un peu de temps pour prendre de l’assurance. Elles ne virent pas les étoiles tout de suite. Elles regardaient où elles mettaient les pieds. Mais c’est en entendant les rires des enfants qu’elles levèrent la tête vers le ciel. Il y avait Vénus, qui brillait, et la grande Ourse, facilement reconnaissable. Puis elles ont vu l’Orion sacré et leur cœur se mit à battre plus fort, car elles connaissaient les mythes. Elles n’osaient pas s’approcher des enfants, c’était les consignes, mais elles les voyaient de loin courir en se tenant par la main. Elles eurent un frisson d’effroi en se souvenant du virus mortel qui menaçait encore 
et que les enfants semblaient avoir oublié. Mais ils avaient l’air si heureux, si insouciants qu’elles doutèrent soudain de sa dangerosité et mirent leur frisson sur le compte de la fraîcheur de la brise printanière. 
Une douce sérénité les envahissait peu à peu. Elles marchaient dans un no man’s land, au sens où elles ne voyaient aucun homme à l’horizon et cela leur procurait un sentiment de liberté qu’elles avaient rarement connu. Elles se sentaient fortes ensemble et cette force semblait naître dans leurs cœurs, qui battaient à l’unisson. Elles prenaient conscience de leur puissance, de la vie qui les habitait et qu’elles transmettaient. Elles marchaient nu-pieds sur la Terre et se sentaient en symbiose avec elle. Elles ne comprenaient pas pourquoi elles avaient eu si peur dans les semaines précédentes, comment elles avaient pu renoncer à serrer leurs enfants sur leur cœur, comment elles avaient pu retirer leur main là où elles auraient dû la tendre, comment elles avaient pu croire que l’amour, c’était d’abandonner nos aînés au moment de leur dernier souffle, non, elles ne comprenaient pas. Elles se regardaient, sans fard, et elles rougissaient, confuses, et elles se prirent par la main : le coronavirus leur faisait don de son cœur viral qui battait la chamade dans leur poitrine. Et jamais elles ne l’oublieraient. L’enjeu, ce n’était pas de rester vivant, mais de rester humain, et elles l’avaient compris. Elles dansèrent jusqu’au soir, accueillant dans leur cercle les tout jeunes hommes qui s’y étaient cachés. L’avenir était prometteur. 
A la nuit tombée, elles étaient de retour chez elles. Comme les enfants, elles aussi avaient dans les yeux cette lueur étrange, mais aucun son compréhensible ne sortait de leurs bouches. Elles semblaient calmes, fredonnaient en sourdine et leurs gestes étaient lents et harmonieux, que ce soit pour brosser leurs cheveux ou préparer le repas. Mais elles ne disaient rien et allèrent se coucher tôt, sans regarder la télévision. 
Les hommes étaient désemparés. Ils n’osaient pas le dire, mais elles les impressionnaient. D’elles, émanait une force tranquille et apaisante, qui les calmait. Ils attendaient un mot de leur Président et commençaient à trouver que la plaisanterie avait assez duré. Ils avaient eu le temps de méditer toute la journée, sans femme et sans enfant. Ils avaient pris plaisir à se faire à manger, ils avaient mis de l’ordre dans la maison, pour amadouer leurs compagnes, en espérant leur retour, ou pour eux-mêmes, pour se tenir prêts, au cas où... Demain serait le 11 Mai. Ils étaient bien déterminés à se faire entendre. Ils en avaient assez de faire les moutons, d’obéir au berger, de suivre le troupeau. Ils avaient vu la lueur étrange briller dans les yeux des enfants, puis dans les yeux des femmes. Ils savaient que leurs yeux pouvaient briller aussi dans la nuit. Ils regardaient les étoiles et ils voyaient Vénus, la grande Ourse et la constellation d’Orion, le grand chasseur. Eux aussi connaissaient les mythes. Pourquoi attendaient- ils ? Ils avaient été désarçonnés par cet ennemi qu’on leur avait désigné. Ils n’avaient pas su comment se battre. Les guerriers qu’ils s’imaginaient être n’avaient aucune ressource face au danger qui planait. Un virus ! Minuscule et couronné qui plus est ! Le roi des virus. Et ils avaient accepté d’être enfermés pour s’en protéger. Ils avaient abandonné père et mère, qui mourraient dans une solitude indigne, dont ils avaient honte soudain. Ils se sentaient trahis, dans leur humanité, dans ce qui faisait d’eux des vrais hommes. Et tout devint lumineux soudain : le corona virus se mit à danser et dans le ciel s’inscrivit en lettres de feu : « ouvrira enclos ». Et sans plus réfléchir, ils sortirent de leur prison mentale, en claquant les portes très fort.

LA PEUR DE L'AUTRE

Sylvain Prévost
Avril 2013


Je m’appelle Axelle de Fromont, j’ai 14 ans et j’habite la belle ville d’Orléans. Je prépare le brevet des collèges à la fin de l’année et j’ai la chance d’être aidée par Charles et Albin, mes deux grands frères que j’adore. Mon père fait de la politique tout en étant associé dans un important cabinet d’avocats et ma mère a choisi de ne pas travailler pour nous élever, mes frères et moi. Aujourd’hui, nous sommes à Paris avec toute ma famille pour manifester contre le mariage pour tous. Cette manifestation, ma mère la prépare de longue date, ça l’occupe même tous les jours depuis au moins six mois. Savez-vous que ma mère, Sophie de Fromont, est une célébrité ? Vous pouvez la voir tous les jours à la télé, c’est la porte parole du mouvement Enfance en France qui réunit les personnes de bonne famille autour des valeurs traditionnelles du mariage. J’admire ma mère pour son dévouement à cette cause et l’énergie qu’elle déploie pour imposer ses idées même si parfois je ne suis pas d’accord avec elle. Enfin pour être honnête, je devrais plutôt dire que je ne me sens pas concernée. D’ailleurs, avec mes copines, on ne parle pas de ces sujets là. Savez-vous que dans la famille, on m’appelle la Rebelle ? Car il faut bien l’admettre, je suis un brin effrontée quand je m’y mets ! Tenez par exemple, je n’ai que 14 ans et j’ai déjà un petit ami officiel qui prépare le concours de médecine. Je suis fière de dire à mes parent que je sors avec Benoît et j’aime entretenir le mystère autour de ma virginité car je sais que ça les angoisse. Mais au fond de moi-même, je ne me sens pas prête pour coucher avec ce garçon plus âgé que moi. Je me demande même si je suis attirée par lui pour tout vous dire. Pourtant l’autre jour, nous sommes passés à un doigt de ce que j’aurais pu appeler un dérapage : j’étais allongée sur le canapé, la tête calée entre les cuisses de Benoît lorsque j’ai senti monter en lui une certaine agitation. Je n’ai pas compris tout de suite mais lorsque j’ai ouvert les yeux, Benoît était en train de défaire la ceinture de son jean. Je préfère ne pas vous raconter la suite, j’ai un peu honte... Je n’ai parlé de tout ceci à personne, même pas à ma meilleure amie Sarah. Pour changer de sujet, j’aime ma vie à Orléans même si je consacre la plupart de mon temps à préparer ce satané brevet. Je fais souvent du shopping à Paris avec Sarah, il m’arrive même de lui acheter des fringues car elle n’a pas beaucoup d’argent, la pauvre. A chaque fois, elle me dit qu’elle me remboursera mais moi je ne veux pas, j’ai besoin de savoir qu’elle peut compter sur moi et c’est comme cela que fonctionne notre amitié, de toute façon. Depuis quelques temps, j’ai l’impression que Sarah prend ses distances. Cela me chagrine, je n’arrive pas à savoir ce qui se passe dans sa tête. Souvent elle me regarde fixement, elle pense que je ne m’en aperçois pas mais moi je ne vois que ça. Je me dis qu’elle doit m’envier car mes parents ont beaucoup d’argent .Peut-être me perçoit-elle un peu comme une extra-terrestre ? Je dois la voir aujourd’hui Sarah, à la manif pour tous, je lui dirai qu’elle n’a pas à se sentir inférieure du fait de ses origines modestes. Enfin, si je la vois car je sens bien qu’elle n’a pas envie d’aller à cette manif. Je ne sais même pas ce qu’elle pense de ces histoires de mariage gay, je crois qu’elle s’en fiche. Moi aussi au fond mais c’est quand même important d’être dans la rue pour donner une bonne image de la France, comme le dit maman. Bref, j’attends le texto de Sarah pour savoir où on se retrouve car avec tout ce monde place de l’Etoile, on ne risque pas de se croiser par hasard.

Vous verriez ma mère, vous la prendriez pour une hystérique. Elle est littéralement déchaînée aujourd’hui ! Elle et ses amies dansent devant les caméras de télé qui défilent, on dirait qu’elles sont entrées dans une sorte de transe. La place est noire de monde ou plutôt devrais-je dire blanche de monde car on ne voit pas beaucoup d’étrangers dans cette manif. Mes frères peinent à déplier la banderole qu’ils ont fabriquée hier. Je crois qu’ils ont écrit dessus quelque chose comme : un papa, une maman, on veut des enfants bio. Pour moi, le bio ça me fait penser aux tomates que maman achète au marché et je ne vois pas trop le rapport avec les enfants mais je me dis que ce rapport doit bien exister puisque j’ai des frères très intelligents (Charles fait HEC). Il faut que je vous dise, il y a des CRS de partout et l’accès aux Champs Elysées est bloqué, ce qui rend maman folle de rage. Elle n’aime pas trop les contraintes, ma mère. Des personnalités politiques sont venus à côté de nous pour saluer mon père. Il y a le célèbre avocat Gilbert Connard, je crois que c’est comme ça qu’il s’appelle. Le pauvre, il n’a pas de chance, quand même ! En tout cas, la foule me fait peur, je me sens très fatiguée et j’aurais envie de m’asseoir mais il n’y a pas de banc et de toute façon il y a trop de monde. Je crois que je suis un peu claustrophobe. J’entends ma mère insulter des CRS et tenter de forcer le passage. Je ne comprends pas l’attitude de maman qui donne maintenant des coups de pied dans les boucliers que brandissent les CRS. Maintenant, tout le monde nous regarde et moi j’ai vraiment envie d’être ailleurs. Moi qui ai toujours grandi à l’abri de toute forme de violence, j’ai l’impression d’être tétanisée par la peur et la honte. J’ai le sentiment que les choses vont dégénérer et je sens mon cœur battre très fort, mes forces me lâcher peu à peu. Je regarde machinalement mon portable et je m’aperçois que le réseau ne passe pas. J’ai un pincement au cœur en pensant à Sarah qui doit me chercher de partout. J’ai tellement envie de la voir, si vous saviez. Soudain, j’entends des cris et je sursaute. Autour de moi, je vois des bouches grandes ouvertes : un groupe de personnes au crâne rasé scandent des slogans pas très sympa pour les homosexuels. Le groupe est bien coordonné, j’ai l’impression que tout le monde hurle à l’unisson. Je vois des pierres voler au-dessus de ma tête et de la fumée sortir du cordon de CRS. Je crie moi aussi car je ne comprends pas ce qui se passe, j’ai l’impression d’être dans un pays inconnu au beau milieu d’une guerre civile. Les images que j’ai vues au JT l’autre jour crépitent dans ma tête comme des flashes. C’était un reportage sur le Printemps Arabe en Tunisie, je crois. Autour de moi, les visages sont haineux et hostiles, j’ai l’impression d’être entourée d’étrangers. Instinctivement, je pense à protéger mon sac Louis Vuitton mais c’est à ce moment précis que quelqu’un me bouscule violemment et en une seconde je me retrouve par terre. Je ne comprends pas ce qui m’arrive, je me mets à pleurer sans pouvoir m’arrêter. Autour de moi, c’est le chaos, plusieurs personnes me piétinent sans même me voir et les cris s’intensifient. Devant mes yeux, je devine les mocassins de mon frère Albin qui passe devant moi sans me voir. Quelqu’un me donne un violent coup de pied dans les hanches. Je me recroqueville sur moi-même et porte mes mains à mon visage pour me protéger mais je sens comme des milliers de gravillons qui m’écorchent la peau. Mon visage ruissèle de sang et de larmes et les bombes lacrymogènes me brûlent les yeux. Je hurle mais l’angoisse m’étrangle la gorge. Soudain, la foule se disperse. Je regarde en direction des CRS et derrière les nombreuses caméras, je crois apercevoir ma mère avec des menottes aux poignets, en train de s’agiter dans tous les sens. Un peu plus loin, par terre, git Christine Boudin, victime d’un malaise. Encore une qui n’a pas de chance... Alors que je tente péniblement de me relever, quelqu’un m’agrippe le bras et me tire vers le haut. En une fraction de seconde je me retrouve sans le vouloir dans les bras de la personne qui m’a aidé à me relever et je pleure longuement jusqu’à ce que je sente une main me caresser les cheveux. Immédiatement, je me recule et je vois Sarah qui me sourit. Et soudain, le temps s’arrête et la foule hostile devient une sorte de tourbillon rose et mon cœur se met à battre à tout rompre. Je souris à mon tour et, comme dans un film qu’on aurait mis en avance rapide, nos visages se retrouvent à quelques centimètres l’une de l’autre. Je sens le souffle chaud de Sarah et son parfum aussi qui me transporte instantanément loin de cet enfer. Et, le temps d’un battement de paupière, nos deux lèvres ne font qu’une, nos langues commencent un tango fou au rythme de mes larmes qui deviennent rivière. Soudain, la réalité vient comme un tsunami se fracasser contre ma conscience et lorsque j’ouvre les yeux, je croise le regard apeuré de ma mère qui me dévisage comme si j’étais une étrangère.


Lalie par Sélhèn Omblait




Ce texte est arrivé en tête du concours "Une rencontre" !


6h19- Lalie attend sur le quai de la gare. Une petite gare de province, un bâtiment gris de forme rectangulaire, en pierre taillée, un auvent de tuiles usées sous lequel deux bancs en fonte massive ont été installés, quatre voies. En face, un abri plus récent.
On se croirait dans « Quai des Brumes » ce matin ! Un brouillard épais jette un voile glacé sur le décor déjà sinistre des lieux : les contours de la grosse horloge ont disparu, seules les aiguilles phosporescentes déchirent l’espace comme si elles y étaient mystérieusement suspendues. Quatre lampadaires projettent faiblement au sol un faisceau de lumière blafarde et, à quelques mètres, les voies se perdent dans un épais rideau blanchâtre que les yeux globuleux de l’éclairage n’arrivent pas à transpercer.
Lalie frissonne , assise seule sur un banc, son cartable entre les pieds . Elle a treize ans. Elle s’entoure de ses bras, se serre fort, se recroqueville pour ne pas se laisser pénétrer par l’humidité ; elle baisse la tête, hors de portée de tout ce qui l’entoure. Des larmes de froid, peut-être, perlent puis roulent sur ses joues ; elles sont chaudes, ça lui fait du bien, ça la soulage, qu’importe ! Elle attend. Elle songe aux trajets en car qu’elle effectuait avec les copains et les copines, tous les matins, pour aller au collège, il y a peu de temps mais c’est si loin pourtant, il s’est passé tant de choses depuis…Maintenant elle doit prendre le train, seule, pour rejoindre cette école -disons-disciplinaire, qui accueille de jour , des enfants comme elle, difficiles et qui ont fait des bêtises…
Seule, non, elle ne l’est pas vraiment. Malgré sa frustration, elle s’est habituée, pense-t-elle, à ne plus rire avec les autres enfants, à ne plus sentir l’odeur des jeans rapés, des cheveux encore mouillés, des cartables, des cahiers, de la vraie école ; à ne plus entendre les sonneries des téléphones portables : interdit ! Elle s’est habituée à ne plus parler, à présent elle se contente de regarder, avant elle vivait. Au début, elle s’est sentie comme une fleur arrachée de son massif ou un chardon plutôt…



6h24- Sur le quai de la petite gare de M., aucun enfant, aucun collégien, aucun lycéen : ici tout le monde prend le car sauf Lalie…Mais c’est sa faute s’ils ne veulent plus d’elle.
Alors Lalie reconnaît les habitués du quai, même enveloppés dans leur manteau de brûme.
La vieille dame, soixante ans peut-être, mince et chic avec ses talons hauts, son chignon décoloré blond platine et son sac Vuitton, elle ne descend pas à S., elle continue certainement jusqu’à Paris, c’est une femme d’affaires , pense Lalie. Le monsieur sérieux en costume gris de coupe élégante, il porte un chapeau, il a jeté son pardessus sur ses épaules et serre contre lui une sacoche en cuir noir assortie à ses chaussures parfaitement cirées. Lalie sait qu’elle contient son ordinateur portable ; dans le train, face à elle il le posera sur la tablette et surfera pendant le trajet. Lalie descend avant lui, elle ne sait pas où il va mais sûrement à Paris lui aussi. La jeune fille l’imagine dans son bureau en haut d’une tour . Il y a le jeune couple ordinaire, vêtu simplement, qui transporte des sacs à dos en toile beige, mais que contiennent-ils ? L’homme et la femme restent côte à côte, ils ne se regardent pas, ne se parlent pas, ils ont l’air tristes. Est ce qu’ils s’aiment ? Ils descendent toujours à S. comme Lalie et ils se dépêchent de quitter la gare. Il y a aussi cet homme sans âge, il ne porte rien, ni manteau, ni sac ; si on demandait à Lalie, elle dirait qu’il vient de nulle part et va nulle part. Oh ! Il paraît négligé, mal rasé, mal peigné, son pull over gris usé pendouille sur un pantalon pas très net qui godille sur ses baskets éculées. Quand il passe près de Lalie pour s’asseoir en face d’elle, il ne sent pas la rose. Il sort un livre de la poche arrière de son pantalon et se plonge dans la lecture pendant tout le trajet. Lalie voit ses mains sales sur la couverture et lit les titres : ce ne sont jamais les mêmes, ça la distrait. Elle n’a pas peur de lui contrairement aux autres voyageurs qui le regardent avec méfiance. Elle a cherché à la bibliothèque des exemplaires de ce qu’il lit et s’est mise elle aussi à leur lecture, en secret. Pour voir. C’est drôle, ils ont dû lire une pile d’ouvrages en commun mais l’homme n’en sait rien ! Ils ne se sont jamais adressé la parole. Lalie l’observe en silence, bercée par le ronronnement du train : il ne lève jamais la tête. Mais Lalie l’aime bien avec sa saleté et ses livres tout cornés. Elle n’avait jamais autant lu ! Elle n’aimait pas lire…avant.



6h29- Le train arrive en gare comme une bourrasque, plaquant la brume sur les peaux blèmes et s’engouffrant insidieusement dans les vêtements. Lalie se lève de son banc, serre sa chèche autour de son cou, emprisonne ses cheveux blonds dessous. Elle monte dans le compartiment où se retrouvent les habitués. Elle s’assoit. Elle attend. Le train démarre. Elle attend. Le train prend de la vitesse. Elle attend. Lentement, elle lève les yeux . Ils sont là, le Monsieur à l’ordinateur, le couple triste, la dame chic…mais pas « son » lecteur. Lalie se sent déçue, elle en éprouve même de la tristesse, c’est drôle ! Elle scrute la place vide devant elle. Instinctivement, elle sait qu’il ne reviendra plus. Pourquoi ? Ses yeux s’embuent de larmes ; ça pique, ça fait mal. Soudain, elle s’aperçoit qu’un livre est resté sur le siège ; un voyageur l’a oublié… Lalie le prend : il n’est pas neuf, corné, il ne sent pas bon…Elle lit « A la recherche du temps perdu ». Elle comprend. Elle l’ouvre, quelqu’un a écrit sur la première page « Pour Lalie ».
Lalie referme le livre et le serre sur son cœur. Elle sourit, elle est vivante.
Le train file à une allure vertigineuse.


Les voyages en train par Clio

Je déteste les gares, elles sont sales, bruyantes et pleines de monde.Pourtant, chaque fin de semaine, je rejoins ce lieu honni. La gare est l'antichambre d'un voyage des plus agréables. En effet, le train est un moyen de transport silencieux et reposant (en règle générale). Une fois que je suis montée dans le train, je peux sortir mes cahiers, mes stylos et commencer à écrire.

Je décris les mondes magiques qui naissent dans ma tête, je les remplis d'elfes et d'enchanteurs. Parfois je tente d'esquisser mes personnages ou mes paysages sur des pages vierges mais mon coup de crayon est pitoyable. Souvent je me dis que si j'ai autant d'imagination c'est pour compenser ma maladresse physique. Bref quand je dessine c'est la catastrophe.

Quand je suis montée dans ce train ce, je n'avais aucune idée de ce qui se passerait. Comme d'habitude, j'ai sorti mes cahiers puis je me suis aperçue que mon voisin regardait par dessus mon épaule. Quand j'ai voulu gribouiller le héros de mon histoire à grand renfort de soupirs et de ratures, il a ricané. Je me suis tournée vers lui, probablement avec une mine offensée.

Il m'a adressé un sourire rayonnant d'innocence.

« Je peux lire ? » m'a-t-il demandé en m 'arrachant le cahier des mains.

« Bah, quitte à se moquer, autant que ce soit pour quelque chose... »

« Où est le début de cette histoire ? »

J'ai feuilleté rapidement pour lui indiquer la page.

Pendant qu'il lisait je le regardais ; il semblait vivre l'histoire. C'était un garçon de mon âge, la vingtaine, fin, très fin comme un bonhomme en fil de fer. Comme c'est la dernière de mon cahier, les pages qui suivaient étaient vierges. Il m'a pris un stylo et a commencé à dessiner. Avec un bic noir, il a tracé les personnages, tels qu'ils vivent dans ma tête. Puis il a créé des paysages, des cités et j'ai vu les lieux que j'ai construits avec mes mots. Je le regardais, fascinée, dessiner ce que j'avais toujours imaginé.Quand il s'est arrêté, je me suis sentie vidée.

« Comment as-tu fais ça ? »

« De ? »

« Tout ça !? Ce que tu as dessiné, comment tu as fais ? »

« C'est ce que ton histoire m'a évoqué, pourquoi ? »

« Pourquoi !? Tu viens de dessiner, au bic, mieux que je ne l'aurais rêvé, tout ce que j'ai imaginé dans cette histoire. »

« C'était facile, le texte est vraiment clair et très beau »

Je me suis sentie rougir sous le compliment. J'ai secoué la tête et perdu l'usage de la parole. Je voulais lui demander de tout lire pour obtenir tous mes personnages, tous mes lieux en couleurs.

Je pourrais peut-être imaginer enfin les suites de mes histoires. Je m'imaginais enfin libérée de mes histoires inachevées.

Quand il m'a dit que c'était son arrêt, je n'ai pas pu retenir un cri de désespoir. Il m'a regardé, avec le même sourire innocent qu'au début de notre conversation.

« Tiens voici mon blog, envoie un peu ce que tu fais, je te le dessinerai. »

Voilà comment un vendredi après-midi, le train a changé ma vie.



Le train par Louise Tessier

Jour après jour, elle prenait le train de bon matin. Après tant d’années à se lever aux petites heures pour aller travailler, le train, qui lui avait toujours semblé d’un romantisme ensorcelant, synonyme de départ pour l’ailleurs, pour l’inattendu, pour l’exotisme, pour un voyage qui la mènerait vers l’inconnu, le bout du monde, n’était plus que symbole de prison, long convoi emmenant des prisonniers vers les travaux forcés, vers le boulot.

Une pesante et lassante monotonie s’était installée. Après sa longue journée, elle refaisait le chemin en sens inverse. Les prisonniers, libérés des travaux forcés, revenaient chez eux pour une soirée au coin du feu, une nuit à l’abri de la tourmente. Le miroir du train lui renvoyait sans cesse les mêmes visages tristes, perdus dans la contemplation de leur iPad, somnolant en écoutant de la musique ou simplement groggy, un peu comme des zombis.

Le matin, beaucoup dormaient ou faisaient semblant de dormir pour s’isoler un peu du reste des forçats. Le silence régnait en maître absolu. L’heure n’était pas aux échanges. Tels des moines reclus, les passagers restaient dans leur bulle, leur petite cellule personnelle, en attendant de devoir faire bonne figure au bureau et d’affronter une autre journée à courir à gauche et à droite pour s’acquitter immuablement des mêmes tâches qui ne riment à rien et ne satisfont en rien les aspirations d’éventuels carriéristes.

Le soir venu, les mêmes visages. Mais ils paraissaient moins tristes, les passagers semblant presque heureux d’avoir enfin achevé une autre journée de dur labeur et de retourner à la maison vers un semblant de liberté en attendant l’éternel recommencement, le lendemain matin. Avec le temps, tout romantisme l’avait définitivement abandonnée. Elle s’était programmée pour survivre à l’ennui. Jour après jour, les mêmes allers, les mêmes retours.

Aujourd’hui, la neige tombe abondamment, le vent souffle et soulève sur la plateforme de la gare de petites tornades de neige folle. Emmitouflés dans leur long manteau, le bonnet descendu jusqu’aux yeux, le foulard remonté jusqu’au nez, tous attendent le train en sautillant d’un pied sur l’autre dans l’espoir de ne pas mourir de froid. La ville a disparu sous un nuage de neige. On ne distingue plus ni la terre ni le ciel. On se croirait perdu au cœur d’un brouillard cotonneux, d’un purgatoire sans ombre ni lumière, où rien ne filtre. On n’entend plus que le vent rugir et le crissement de la neige durcie par le froid mordant sous les pieds engourdis qui s’activent pour se réchauffer.

À tour de rôle, les uns après les autres, tous regardent leur montre, impatients d’apercevoir au loin la silhouette du train tardant à arriver, mais les minutes s’envolent avec la neige et le train, tant attendu, semble avoir oublié la gare dans sa course quotidienne. Elle entend des grognements de dépit et de rage. Elle tend l’oreille, mais nul tintement de cloche annonçant la venue du train au passage à niveau, juste avant la gare, ne daigne se faire entendre. Peut-être les rugissements du vent couvrent-ils le tintement de la cloche? Alors, dans un mouvement presque chorégraphié, tous se tournent carrément, malgré le vent de face qui leur arrache des larmes, pour fixer les rails dans le lointain et tenter de discerner les feux clignotants annonçant l’arrivée du train. Tous plissent les yeux pour percer le nuage opalescent et tenter encore d’apercevoir la moindre petite lumière rouge clignotante. Mais, peine perdue. Toujours rien.

Ce train, devenu symbole de détestation au fil des ans, s’est soudain métamorphosé, dans son cerveau embué, en symbole de délivrance, de chaleur, comme une bouée de sauvetage. Viendra, viendra pas? Tous se surprennent à l’espérer de tout cœur, mais l’heure est déjà passée depuis d’interminables minutes si glaciales qu’elles semblent s’être transmutées en heures.

Mais tout à coup, à sa grande surprise, la foule silencieuse des zombis transis dans la nuit glaciale et encore noire commence à s’animer. On se consulte. Doit-on rester encore au risque de geler sur pied pour attendre le prochain train qui nous mènera au bureau, à notre geôle de jour, ou rebrousser chemin et retourner à la maison, havre de paix et de chaleur douce? Peu à peu, on se remet à penser à cette geôle tant exécrée comme à un nid douillet et bien chaud qui nous sauvera du froid polaire. Les cellulaires sortent des poches et les doigts gelés s’activent. On tente de découvrir par tous les moyens ce qui se passe et quand le train daignera enfin faire son entrée en gare. Mais le temps, qui n’en a cure, file imperturbablement et toujours pas de train. Toutes ces recherches fébriles se sont révélées vaines.

La foule se fait moins dense. Beaucoup ont renoncé, incapables d’affronter plus longtemps la morsure de ce froid sauvage. Les plus zélés sont restés, sans doute par crainte de faire craquer leur carapace en posant un geste qui risquerait de les déprogrammer définitivement et de faire dérailler leur vie.

Puis, le silence s’installe. Quelqu’un a entendu la cloche tinter. Mais était-ce vraiment le tintement de la cloche ou le vent déchaîné qui fait danser le lampadaire comme s’il allait le libérer de son socle et lui permettre, à lui, de se sauver? Non, c’est bien la cloche. Les visages sombres se parent de sourires frileux, puis deviennent franchement rieurs. L’attente a enfin cessé. On est sauvé. On pourra se réchauffer dans le train et partir heureux, pour une fois, au boulot.

Mais quand le train s’arrête dans un monstrueux cri de ferraille, les freins eux aussi sauvagement malmenés par l’hiver, pétrifiés dans un écrin de glace, panique! Le train a perdu de sa superbe. Il compte trois wagons en moins. Alors, c’est la bousculade, personne ne voulant rester orphelin sur la plateforme. Les chanceux qui attendaient le train là où les wagons sont demeurés fidèles montent à toute vitesse. Les malheureux qui l’attendaient à leur emplacement habituel, mais qui se retrouvent face au vide, là où les wagons ont décidé par ce matin de froidure redoutable qu’ils ne se joindraient pas au reste de la troupe demeurent tout d’abord figés, sans faire un geste. Le calme avant la tempête! Puis, c’est la course folle vers les wagons fidèles. Par chance, tout le monde a quand même trouvé place, mais l’atmosphère a changé. Il y a comme un parfum d’anxiété dans l’air. D’ordinaire assis jour après jour à la même place comme pour se rassurer de toujours revoir les mêmes visages, les passagers sont déstabilisés. Plus un seul visage connu. Un grand maelström a brassé la foule. On se regarde à la dérobée. Personne ne dort. On met le nez dans un livre, on regarde la bourrasque par la vitre, on souffle dans ses mains pour réchauffer ses doigts gourds.

Alors, à l’extrémité du wagon, un vieux monsieur bedonnant à la tignasse aussi blanche que la neige qui recouvre tout et à la longue barbe immaculée se lève et ouvre un grand sac qu’il a posé sur son siège. Tous les regards sont rivés sur lui. Très lentement, il enlève tuque, mitaines, foulard et manteau. Le silence glacial qui régnait dans le wagon fait place à des murmures de plus en plus audibles.

Doucement, comme dans un film tournant au ralenti, comme pour faire durer l’incompréhension des autres passagers qui se demandent qui est cet homme qui ose les sortir de leur torpeur abrutissante et qu’est-ce qu’il peut bien faire, il fourre dans son sac tuque, mitaines, foulard et manteau et en sort une grande poche rouge.

Les passagers sont au comble de l’exaspération, ses gestes lents ne leur donnant pas le moindre indice de ce que ce stratagème peut bien receler. À gestes comptés, il enfile pantalon rouge, grosses bottes noires, bonnet rouge bordé de blanc et, finalement, un large sourire.

Dans un grand élan, comme s’il allait tous les avaler, il s’écrit: Ho! Ho! Ho! et, instantanément, les passagers sont transportés dans un autre monde, le monde des bonheurs simples enfin retrouvés. Tous avaient oublié que ce jour pareil aux autres est en fait la veille de Noël.



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