Déconfinement poker menteur (concours l'après confinement)

Ce texte remporte le concours !
Déconfinement poker menteur
Par Gilles Rigaud


Je suis heureux de ce confinement, même les crétins ont senti que quelque chose a changé.

A part pour les humains reclus, il est pour tout le reste des habitants de ce monde une bonne nouvelle ; une excellente, un magnifique nouvelle, une bénédiction. Je suis content pour eux. Triste pour nous, notre monde nous a exclu, mis en garde à vue, emprisonné. Il faut bien l’admettre, nous sommes trop cons, incapable d’être à la hauteur de l’immense investissement que la nature a mis en nous. A part pour se reproduire, ou s’entretuer, l’humain n’a jamais été l’élite des mammifères qu’il aurait dut être. Malgré ses poètes et ses machines, la simple cupidité de vivre et de posséder de la créature la plus abouti, aura mis à mal le long façonnage millénaire de la vie pour se surpasser et conquérir l’univers. Dommage !

Avec le déconfinement, l’heure des règlements de compte va commencer. Les bisness first d’Amérique du nord vont sauter sur les cupides chinois. Les théoriciens du complot de tous poils, inventent à tour de bras, une angoisse qu’internet va nous vendre à pleines brassées de paranoïas mercantiles. La croisée des chemins est là, je fais partie des joyeux drilles qui restent optimistes, en abandonnant à son sort nos activités inutiles, celles qui sont un danger pour notre monde, on se sauve. Pas de débat, pas d’état d’âmes on sauve le monde ! On laisse crever doucement les marchands de pétrole, ancien fournisseur de graisse de baleines et responsable de leur massacre, on écrase les paradis fiscaux, on coupe des têtes, on remet des mâts et des voiles à nos cargos, on met au pas les seigneurs de la céréale et du riz, c’est la révolution du virus ! En faisant du Trump nous sommes perdus ! L’Europe peut encore une fois changer le cours du destin de tous. En particulier la France mère des révolutions. Le dernier acte de la comédie humaine, promet d’être passionnant, pour nous ce sera tout ou rien. La nature elle, avec ce bijou de virus tient le bon bout, elle remet au pas sa créature hors contrôle ou le fait disparaître en détruisant son, ses modes de vie. Et si des humains sont responsables de la diffusion du virus, de l’avoir hébergé, alimenté, favorisé dans des éprouvettes, c’est encore plus savoureux pour les survivants du monde sauvage qui nous regardent en rigolant enfin un peu. Dans ma vallée si verte après les pluies printanières, j’entends le rire du renard et de la belette, le chant des oiseaux cette année raconte de nouvelles histoires. Le monde se libère de la tyrannie humaine, chaque animal retient son souffle, l’après sera meilleur ou ne sera pas.

Dans la rumeur du vent qui passe, j’entends l’augure de nouvelles menaces, et de fabuleux espoirs. La vie est une chose incroyable.



Il y a un mois que j’ai écrit ces lignes, un mois que les habitants du monde tentent de revivre leur vie d’avant, de retrouver rythme, boulot, loisir, plaisir. C’est cet après-midi alors que je roulais dans la vallée de retour de la ville, que la nouvelle est tombée à la radio : Les États-Unis de Trump viennent de déclarer la guerre à la Chine ! La voix angoissée du présentateur vedette de la chaine s’estompe dans les vitupérations du chef des armées nord-américaines. A ses dires, alors que dans tous les sondages il est en chute libre pour les prochaines élections présidentielles, les chinois sont coupables non seulement d’avoir laissé échapper le virus de leur laboratoire, mais ils l’auraient fait sciemment, en conscience, pour affaiblir les States, usurper avant l’heure la place de numéro un mondial, plonger les pays ultra-libéraux dans le chaos sanitaire. Le covid n’était pas une épidémie ! Il était une attaque chinoise, une nouvelle arme de destruction massive sélectionné dans la panoplie des coronavirus d’origine animale pour mettre à genoux la patrie de la liberté et du libre arbitre. J’entends comme dans un rêve, ou une hallucination, le discours haineux du fou furieux au toupet blond. Je l’imagine, postillonner sans masques vers ces journalistes qu’il hait, dans ce sinistre ballet qu’il nous joue depuis le début de la crise à gringoland.

Il éructe sa victoire ! Hier soir, les bombardiers de la base de Guam dans le Pacifique ont décollé, des forteresses volantes entourées d’une escadrille de super chasseurs. Ils ont volé très haut pour ne pas être inquiété par l’aviation chinoise, habituée depuis belle lurette aux provocations militaires américaines. Cette fois ce n’était plus une provocation, le roi des fous a bien ordonné de raser à la bombe géante, les trois grands ports militaires de Chine ou l’empire du levant construit la flotte qui devait lui permettre d’ici quelques années de devenir l’égal de son grand rival à la bannière étoilée.

Sous le choc j’ai stoppé la voiture, prêt de celle d’un autre automobiliste qui comme moi se tient la tête à deux mains en écoutant sa radio. Je n’en crois pas mes oreilles. Ils n’en sont pas restés là ! Des sous-marins, une dizaine au moins, ont tiré sur ordre du pentagone des dizaines de missiles sur les terrains d’aviation chinois. Débarquées depuis des planeurs furtifs à grande autonomie de vol, les forces spéciales de l’oncle Sam ont déferlés sur le siège du gouvernement à Pékin. Tous les terrains conquis sont immédiatement soumis au couvre-feu meurtrier de milliers de drones et de chars d’assauts robotisés largués depuis des navires de guerre au large des côtes du pays.

Trump affirme que les membres du gouvernement ennemi sont tous prisonniers de son armée, que ses soldats ont neutralisé le haut commandement de l’armée, que déjà des militaires, scientifiques de haut rangs, fouillent dans les laboratoires d’état chinois pour y chercher le vaccin fabriqué depuis des mois et des mois en secret par le parti communiste et distribué sous couvert de vitamine à la population pour l’immuniser à son insu. Le plan de départ des marxistes, dixit le nabab du bêton, était de démontrer la supériorité du régime de Pékin sur les démocraties occidentales dans la gestion d’une pandémie, puis d’assujettir définitivement la population mondiale par un chantage au vacin.

Je baisse le son de la radio, je tremble. Moi fils de résistant, petit-fils de poilu, héritier du sacrifice de ceux qui ont juré le plus jamais ça, je vais vivre une guerre, l’ultime, la définitive.

Ma première angoisse est de savoir comment je vais expliquer ça aux enfants. Qu’un fou ressurgit des enfers et ses faucons dégénérés viennent de nous inventer une nouvelle réalité et déclencher l’enfer. Je me souviens des récits de mon père sur la drôle de guerre en 39, sur ces années de dérive ou l’hitlérisme montait en Allemagne sous le regard cossu des bourgeois d’Europe. Ce que nous vivons depuis que le grand fou a été élu par le peuple américain crétinisé par la télé, internet et mac Donald, est de cet ordre. Une fois encore notre lâcheté nous perd.

L’ordure a expliqué que l’Otan, les alliés européens, sont avec lui et vont saisir bien et intérêts chinois partout dans le monde. L’inde avec qui il s’est arrangé, a attaqué la Chine par l’ouest, envahissant au passage le paisible Boutan. Il prophétise que si la Russie vient en aide à son allié rouge, il rasera Moscou à grand coup de missiles nucléaires.

Là, je comprends qu’on parle bien d’une guerre mondiale qui vient de se déclencher ! Que notre fin est là, dans les paroles d’un dément qui se prend pour l’envoyé de Dieu ici-bas. Encore une fois ! Putain !

Je repense aux apéro de l’été dernier, en famille, assis sur la terrasse du chalet face à l’éternelle montagne ont supputé de futurs plus ou moins radieux de nos descendances. L’idée d’une guerre majeure avait été exclu d’office, on irait vers des tensions, mais l’argent roi nous protégeait, la cupidité, le consumérisme nous protégerait d’un conflit mondial. Trump était vu comme un épicier, l’illuminé à la tête de la Chine comme d’un sage ou presque.

C’était avant le covid 19, avant le surréalisme de cette pandémie qui en six mois a dévasté nos modes de vie, nos certitudes, vu toutes les théories du complot enfler jusqu’à noyer l’idée même d’une vérité, d’une commission d’enquête indépendante, d’une quelconque analyse rationnelle de la situation. Notre monde dominé, dirigé, managé par des commerciaux et quelques ingénieurs depuis des décennies, se décompose devant nos yeux, sans que nous sachions quelle réalité il faut croire. Nous ne pouvons plus bouger, ni faire autre chose qu’obéir. Impuissance, désespoir, après le virus invisible, les vendeurs de cochons viennent de nous ressusciter l’ultime grand fléau : la guerre ! Une guerre dont nous ne serons jamais si elle repose sur des faits, ou l’interprétation d’un dément fou d’hégémonie commerciale !


Je redémarre, le tocsin sonne aux églises des villages. A la radio, on nous annonce pour ce soir un grand discours présidentiel pour nous expliquer la position de la France, l’état de son armée, la volonté sans faille de nos dirigeants...bla bla bla bla. Tout le reste du trajet, anxieux, je repasse en revue les mille coins de la terre ou nous avons trainé avec Morgane notre voilier en trente années de navigation. Où va-t-il falloir nous réfugier ? Au fin fond des Tuamotu ou nous avons vécu si heureux et nues dans les lagons merveilleux ? Dans les fjords profonds de Patagonie et de terre de feu, à manger des crabes innombrables, à chasser au Walhalla des canards vapeurs, des oies sauvages ? Rester dans nos montagnes subir le destin avec nos amis, ce peuple français si solidaire, si aimable ? Je ne sais ! Le Pearl Harbour chinois, je n’y crois pas. Même décapité, un milliard trois cent millions d’individus qui ne connaissent que la dictature et la répression vont se mettre en guerre ouverte. Notre civilisation, notre monde s’arrête là. Personnellement j’en suis presque soulagé, l’augure de léguer à nos enfants une nature exsangue pour les voir s’étioler et crever du réchauffement climatique ne me réjouissait guère. La guerre va régler ces incertitudes hypocrites. Alors que les lumières encore allumés du village se profilent au fond de la vallée, dans ce calme olympien des sommets encore enneigés, que les sombres forêts où nous chassons depuis des millénaires disparaissent dans l’obscurité de la nuit, je me demande soudain : putain ou es ce que j’ai mis mon flingue ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Aidez nos contributeurs à progresser en laissant un commentaire :)

AVERTISSEMENT !

Le contenu de ce blog est protégé par les droits d'auteur. Toute diffusion ou commercialisation du contenu de ce blog est strictement interdite.