LES AMOURS DE LA LUMIÈRE - Version 1

Chapitre 1 
Par Martine Alliot Miranda


Allongé sur le sable de cette plage déserte, plongé dans ses pensées, alors que le vent même giflait son doux visage, il songeait à son amour déçu.
Tel un ange déchu ayant perdu ses ailes, incapable de prendre son dernier envol, il se laissait mourir sans vouloir revenir. Combien était-il faible de n’avoir su garder ce trésor qui lui était donné !

Tout avait commencé avec l’île du Dragon. Point de beaux paradis ou de château hanté par de vieux ectoplasmes, un simple jeu d’ados, un jeu idiot mais rigolo. Enfin ! Rigolo pour des ados. Mais eux, n’étaient plus des ados, il l’avait oublié. 
Son portable sonna, il ne prit pas l’appel, contemplant tristement la lumière du jour décroître, tandis que sa douleur emplissait l’abysse infini de son désespoir.

Ses pensées reprirent leur envol vers celle aux yeux de jade qui avait réussi à capturer son cœur. Il se sentait mutant, amputé de son âme, tel un mathématicien privé de son arithmétique. Il sourit de cette dernière comparaison ; « pas tellement poétique » et songea aux mots qu’elle aurait employés pour exprimer ce qu’il ressentait à cet instant : Tel un trait de lumière, aux rayons colorés de multiples lueurs, tu as frappé mon cœur d’une vive douleur, ne laissant au passage qu’une empreinte sanglante d’un beau rouge carmin qui brûle les souvenirs. Tu me laisses héritier de tous les maux du monde dans cette cité en feu où la bête se consume essayant de percer le mystère souverain du sentiment humain : l’amour ! L’amour lumière, celui qui passe si vite, ne laissant aucune chance pour celui qui ne sait, tendre la main à ce moment précis.

Il se savait bel homme. La quarantaine, un mètre soixante-quinze, quelques kilos en trop mais possédant une musculature agréable. Ses yeux étaient ce que les femmes appréciaient le plus, surtout lorsqu’il riait, car alors, des étoiles apparaissaient à la surface de ses iris et ses yeux pétillaient de malice. Avec elle, il en avait joué sans savoir qu’en retour, c’est lui qui souffrirait.

Pour elle, il n’y avait qu’éloges et son dernier regret était de l’avoir blessée alors qu’il l’aimait et ne pouvait l’avouer. 
Ses antennes intérieures vibrèrent. Son métier avait aiguisé son sixième sens, il était en alerte. Quelqu’un s’approchait par derrière tout doucement. Sa femme s’assit à ses côtés et lui enserra la taille. Il passa son bras par-dessus ses épaules sans lâcher l’horizon du regard.

— Je m’inquiétais, tu ne répondais pas.

— J’avais besoin de calme. Je m’apprêtais à rentrer.

— Nous pouvons rester un moment si tu veux.

« A condition que tu ne dises rien, que je puisse encore penser à elle quelques instants et lui 
dire que je l’aime » souhaita-t-il en lui-même. Mais il savait qu’il serait impossible d’obtenir plus de tranquillité que ce qu’il venait d’obtenir. Il se leva.

— Non, c’est bon, j’ai faim, nous pouvons rentrer.

Et tandis que sa femme lui attrapait la main, jacassant joyeusement, racontant sa journée, il 
se retourna une dernière fois et regarda la lune lui sourire tristement.

Il continua de songer que finalement la vie n’était qu’histoire de mots ; des mots prononcés trop vite, des mots prononcés trop tard ou trop tôt, des mots murmurés, des mots interdits, des mots oubliés, des mots non-dits, des mots qui tuent, qui blessent ou qui caressent et même des gros mots. Mais pour lui ce serait des mots cachés, des mots qui tuaient sa vie, car même s’il faut toujours respecter ses serments, il faut aussi savoir prononcer certains mots toujours au bon moment.





                                                    ***




Chapitre 2 
Par Sylvain Prévost




— Victor, tu n'as presque rien mangé... Tu ne te sens pas bien ?

Mais Victor n'écoutait pas, ses yeux avaient perdu leurs étoiles et son regard vide ne cessait de divaguer entre la piscine et l'immense terrasse de la villa cannoise. A travers les baies vitrées, la lune baignait d'une lumière étrangement vive l'imposante bibliothèque du salon. En contrebas, Victor voyait la ville s'animer au son du feu d'artifice, au bord d'une mer aussi placide que ses vingt années de mariage.

— Cette maison est un peu grande pour deux personnes, tu ne crois pas ?

Cette question idiote était sortie machinalement, comme s'il s'était parlé à lui-même et Victor regretta aussitôt les trois verres de vins rouge qu'il avait bus manifestement trop vite. Car sa question n'était nullement destinée à sa femme mais bien à lui-même. Assez de rêveries adolescentes, il fallait qu'il se reprenne, et vite. Sa vie partait en lambeaux depuis plusieurs mois et l'arrêt brutal de sa liaison avec Lucile lui laissait une déchirure profonde au fond du cœur. Pourtant Victor avait toute les cartes en main pour réussir sa vie : une santé de fer, une belle villa à plus de huit cent mille euros entièrement payée, la célébrité grâce à son métier d'écrivain. Et une femme qui me sert d'épouse...


— Que veux-tu que je réponde à cela ? Cette villa, c'est toi qui a fait des pieds et des mains pour l'acheter. On ne va pas remettre toute cette histoire sur le tapis. Qu'est-ce qui te prend aujourd'hui ? Ecoute, je sais que tu vis des moments difficiles avec l'écriture de ton nouveau roman. Tu devrais poser quelques jours, on pourrait partir. J'ai besoin de te retrouver. Tu sais que je rêve de visiter l'Irlande ?

L'Irlande. L’Île du Dragon. Victor reçut la proposition de sa femme comme un poignard en plein cœur. Ne me parle pas de l'Irlande grosse vache ménopausée, cette histoire nous appartient à Lucile et à moi. Tu n'as pas le droit de t'immiscer dans notre décor. C'est notre histoire d'amour. Pourquoi crois-tu que je n'ai jamais voulu te faire un enfant ? Tu n'es qu'une étrangère. Envahi par le désarroi, Victor eut soudain envie de briser la table en verre et de révéler la vérité à sa femme : l'escapade en catimini sur l’Île du Dragon pour retrouver Lucile, la jolie serveuse du café littéraire où il avait ses habitudes dans les beaux quartiers de Cannes, cette passion folle qui l'avait consumé pendant plusieurs mois avec une femme beaucoup plus jeune que lui, le sentiment de toute puissance qu'il a ressenti pendant sa liaison, cette euphorie inextinguible, cet ouragan sentimental qui a soufflé sur sa vie et qui continuait d'ébranler tout son être. Il avait envie que sa femme souffre autant qu'il souffre, il crevait d'envie de lui dire qu'elle était devenue grosse et moche, qu'elle avait été une erreur de parcours, qu'elle n'avait fait que savonner la planche de sa vie depuis leur mariage. Avec Lucile, il était géant, assis en face de sa femme, il n'était qu'un nain. Tout était à refaire. Et ce simulacre de dîner aux chandelles qui n'en finissait pas ! Et cette femme qui lui avait volé vingt ans de sa vie ! 

Je l'aime. Je l'aime. Je l'aime. Et toi je te hais. 

— [...] Tu sais pourquoi elle est partie au moins ?

Brutalement sorti de sa torpeur, les cinq sens en alerte rouge, Victor regardait sa femme avec des yeux d'un enfant pris la main dans un pot de confiture. Des milliards de connexions neuronales tourbillonnaient dans son cerveau pour trouver en urgence l'excuse la plus crédible. Soudain pris de sueurs froides, des grosses gouttes perlaient le long de sa nuque.

— Car c'est la troisième assistante que tu perds en moins d'un an, tu devrais penser à revoir le salaire, non ?

— Oui ma chérie, tu as raison je vais y penser. Et on ira en Irlande dès que j'aurais fini mon roman, je te le promets.

L'orage passé, sa tension émotionnelle baissa d'un cran et Victor poussa un profond soupir. La perspective d'un divorce coûteux s'étant envolée, il se dit que finalement, son épouse n'était pas si grosse, que sa vie n'était pas si ratée et qu'il allait désormais se tenir à carreau. 

— Quelle bonne nouvelle mon chéri ! Je suis sûr qu'on va bien s'amuser là-bas ! Tu verras, ce voyage sera aussi beau qu'un feu d'artifice.




                                                    ***



Chapitre 2 
Par Doris Sullivan


Ça y est! Il avait prononcé la phrase fatidique. Il retournerait en cette Allemagne qu'il avait fui en une période trop trouble de sa vie. Et voilà que le trouble, resurgissant dès la phrase prononcée, ne cesse plus de le hanter. Comme s'il avait, d'une formule magique, réveillé Lucile, qui aurait dû dormir encore des centaines, voire des milliers d'années.

Comment, en un seul instant fatidique avait-il pu prononcer ces mots, mots magiques risquant ainsi, plus que son existence terne mais aussi, sont esprit, son âme, sa vie éternelle et celle de ses descendants. Comment avait-il pu? Ou plutôt comment avait-ELLE pu ranimer le sortilège malgré son sommeil comateux?

Son père dragon a-t-il eu recours au dragon-sorciers afin de lui concocter un antidote moderne?

Depuis, sa femme, trop accaparée par les préparations du voyage, ne remarque pas la métamorphose de victor. Il se transforme, s'amaigri, comme rongé de l'intérieur. Tout autour de lui se transforme en un tout autre univers. Les plantes intérieures croissent à une vitesse vertigineuse et le pinson dans la cuisine ne cesse plus de chanter le nom de son amour secret. Lors de ses promenades nocturnes les arbres le saluent et lui adressent des sourires de connivence comme s'ils savaient que Victor prépare son retour en Allemagne, les animaux autrefois peureux l'approchent effrontément … lui chantent que Lucile est réveillée ...

- C''est pour quand le grand départ …

- Douze jours mon amour, qu'elle roucoule.

Parce que même elle, se transforme en un genre d'ange trop doux, gentil, mielleux.

Il a beau l'haïr régulièrement, telle la routine de leur vie grise, il ne peut s'empêcher d 'admirer la transformation que la fébrilité de la perspective des vacances lui procure. Plus de grâce dans sa démarche, plus de souplesse dans ses actions quotidiennes … même son discours plus coloré arrive quelquefois à ranimer un sourire sur son visage jauni d'homme fatigué.

Seul son sommeil agité trouble la félicité de ces derniers jours. Son ennemi habitant les fonds boueux de son esprit refait alors surface lui infligeant les pires supplices, Ichneumon le dévore alors lentement, il entend la mastication de son ennemi qui, comme un métronome, accompagne sa souffrance. Il la voit Elle, sa Lucile, se rire de lui, admirant tous les trésors, toutes les pierres précieuses qu'Ichneumon lui offre en gage de fidélité. Il assiste en tant que buffet, impuissant, aux noces de sa reine, qui se terminera lorsque l'invité d'honneur, son ennemi, aura terminé la dernière bouché de son corps, s'assurant ainsi qu'il ne revienne plus hanter le territoire sacré de sa race.

Lorsqu'il s'éveille de ces cauchemars, trempé et puant de peur, Victor est tenté de rebrousser chemin, d'annuler, mais une force plus grande le soumet à obéir au destin qui s'est pointé, un certain soir de souper aux chandelles pathétique où ont été prononcé des mots fatidiques. Victor, ce soir là, a rompu le serment qu'il avait fait au père dragon de ne plus jamais, jamais se rapprocher du continent où dort sa fille précieuse Lucile.


À vous d'écrire la suite !

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