Chapitre 1
Par Julian Montané
La lumière naissante grandit. Elle emplit peu à peu la chambre. Le store n’a pas été abaissé la vieille. Dehors, la ville s’éveille. Un tramway passe dans un doux vrombissement, déjà bondé des anonymes qui filent rejoindre leur lieu de travail. Le drap s’anime dans un doux murmure. Frappé par un des premiers rayons solaires, le visage masculin quitte le monde des rêves. Un premier bâillement puis les yeux s’ouvrent. Benjamin sourit, il aime à sentir le soleil chauffer sa peau. Cette sensation lui rappelle les délices futiles de la vie et la chance de pouvoir les savourer. Il se sent vivant. Il n’aime pas rester tard au lit alors il profite aussi de la chaleur de sa couette. Benjamin se lève, pieds nus, il se dirige tout droit vers la cafetière. Dans l’attente de boire son café, il allume la télévision et s’assoit sur le canapé bleu. Cependant, la plénitude du réveil s’estompe. Benjamin ressent comme un malaise. Un sentiment troublant qui lui donne mal au ventre, une gêne diffuse. Il ne peut en expliquer la raison. Il se dit pour lui-même qu’il s’agit peut être d’un mauvais pressentiment.
« Que va-t-il se passer aujourd’hui ? » se demande-t-il.
Le café est prêt, il s’en sert une tasse, se rassied et allume la télévision. Il lui reste encore du temps avant de se préparer. Son cours de littérature française ne débute qu’à 13h30. Oubliant le flot continuel de publicité qui assomme les spectateurs français, Benjamin établit son planning. Il sait qu’il lui reste un peu plus d’un mois avant sa première épreuve. Ainsi, il lui faut commencer à réviser dès maintenant s’il ne veut pas avoir à tout apprendre au dernier moment. Il sourit. Il n’a jamais réellement préparé ses examens au cours des deux premières années de sa licence « Lettres Modernes » à l’université. Cependant, la dernière année est plus dure, et Benjamin sait pertinemment qu'y aller au talent, comme il aime à dire, ne sera pas suffisant pour réussir. Et pourtant, il connaît l’avenir. Rien ne sert de planifier ses révisions car tout sera révisé au dernier moment. Benjamin est beaucoup plus efficace sous la pression. Mais pour l’instant, il est assis dans le coin de son canapé bleu et il se réchauffe avec sa tasse de café. Même la chaleur du liquide n’estompe pas le malaise qu’il ressent. Il pense alors aux animaux qui ressentent le danger bien avant l’être humain, se disant que la sensation étrange qu’il éprouve pourrait être le signe d’une catastrophe. Cela le fait sourire. Il décide donc de ne plus prêter attention à ce signal corporel. Il se lève et se dirige vers la salle de bain. Il a besoin d’une bonne douche. Ses cheveux bruns sont décoiffés. Après s’être brossé les dents, Benjamin dirige le pommeau de douche vers le mur carrelé puis tourne le robinet. L’eau est glacée au début puis à la bonne température. Le jeune garçon passe une main mouillé sur son ventre : une habitude stupide établie pour ne pas mourir d’hydrocution. Cette manie s’est établie dans son enfance, suite à la mort d’une connaissance à sa mère par hydrocution. Complètement trempé, Benjamin pourrait rester des heures sous l’eau. Il se force à couper l’eau se disant que le gaspillage est malsain pour la planète. Le réveil posé sur la tablette sous le grand miroir carré indique 11h47. Le temps passe si vite lorsqu’on n’y prête aucune attention. En ce mardi, Benjamin a décidé qu’il irait à l’université en bus. Il aura donc un peu moins d’une heure pour se plonger dans le livre de son choix. Lire est une évasion. Le jeune garçon adore lire. Les romans ont accompagné son enfance et son adolescence. Benjamin aime à s’asseoir à la terrasse d’un café, dans un parc ou bien sur un banc pour lire. Quand il est plongé dans une œuvre, le monde alentour s’estompe : il oublie tout. De ce fait, il est heureux à l’idée de se retrouver assis au fond du bus et de lire. Une fois sa veste en jean bleu clair mise, il ferme à clé sa porte et descend par les
escaliers les deux étages de la résidence. Il n’y a que quelques mètres qui le séparent de l’arrêt du car. Une fois bien installé, il commence la lecture silencieuse des poèmes de Charles Baudelaire, « Les Fleurs du mal ». Insouciant du trajet, il a failli rater son arrêt. Le voilà à présent arrivé à l’université. Mais il n’a aucune envie d’aller assister à des cours cette après midi. Il reste immobile environ cinq minutes à peser le pour ou le contre et décide finalement de se rendre en cours. Au pire, face à l’ennui du professeur, il pourra toujours poursuivre la lecture des poèmes. Et puis, il s’agit de rester sérieux car après tout, les examens vont vite arriver. La sensation étrange qu’il ressent depuis ce matin ne l’a pas quitté, elle est toujours là, en lui. Le soleil brille, il fait bon. Le vent joue dans les feuilles vertes. Benjamin rejoint la salle de cours sans grande conviction. Il remarque sans grande surprise que ses amis universitaires sont absents. Le professeur arrive : Benjamin est condamné à subir un discours soporifique à propos de l’œuvre « Nadja » d’André Breton. Cela fait à peine dix minutes que l’enseignement à commencer que le jeune étudiant est déjà en train de rêvasser. La sensation désagréable qui habite son estomac depuis son réveil est toujours présente. Seulement, Benjamin se force à n’y prêter aucune attention, préférant mettre ce symptôme sur le compte de son dîner d’hier soir. Cela le rassure. Vivement la fin de ces deux heures pour assister au cours de langue allemande qui, lui, est beaucoup plus animé et intéressant. Après, il faudra vite rentrer afin de débuter l’étude du commentaire composé d’un passage d’Erasme à rendre pour dans une semaine. Mais ce programme studieux ne l’attire pas du tout, il préfère sortir. Discrètement, Benjamin sort de sa poche son BlackBerry et envoie un message à sa meilleure amie
- Hey ! Pas envie d’étudier car besoin d’évasion ! Partante pour un verre ce soir ? :)
Trois minutes plus tard, le mobile vibre.
- Oui ! J’allais t’envoyer le même message ! On se retrouve à 19h30 place Pey Berland. On avisera sur place. Me tarde ! :)
Le sourire aux lèvres, Benjamin est plus enclin à écouter. Ce soir, il va rire et ainsi, oublier ce mauvais pressentiment qui l’assaille. Du moins, il espère.
Chapitre 2
Par Sylvain Prévost
- Et un demi pêche pour le jeune homme
Alors que le serveur du Café Français s’éloigne vers d’autres clients, Clara peine à contenir un sourire plein de malice.
- Lui, c’est un 10 mais vu le regard qu’il t’a lancé, je n’ai aucune chance !
Amusé, Benjamin observe les passants place Pey Berland en profitant du doux rayon de soleil qui lui caresse le visage. La température est idéale en ce mois de juin, les gens sont heureux et la terrasse du café est étonnamment bondée pour un jeudi soir. Le mauvais pressentiment ressenti tout au long de la journée semble enfin l’avoir laissé en paix et, planqués derrière leurs lunettes de soleil, les deux compères s’amusent à attribuer des notes aux passants. Benjamin est ravi de partager ce moment avec sa meilleure amie, il a l’impression d’être un éternel adolescent en jouant à ce jeu stupide.
- Tiens, regarde là-bas ! Dis bonjour à ton futur mari !
Le doigt pointé en direction d’un quadragénaire à moitié chauve et franchement bedonnant, Benjamin ne peut s’empêcher de rire aux éclats.
- T’es dégueulasse ! Tu perds rien pour attendre !
Clara se force à sourire mais son meilleur ami ne remarque rien. Car derrière ses lunettes de soleil, ce ne sont pas les passants qu’elle observe depuis plusieurs minutes. Elle ôte ses lunettes et rabat ses beaux cheveux châtains vers l’arrière.
- Et toi tu me donnes quelle note ?
Un peu surpris par la question, Benjamin bredouille quelques mots et fait naviguer ses grands yeux bleus entre les passants et sa meilleure amie à la recherche d’une bouée de sauvetage. A travers le paravent, le soleil semble avoir choisi le jeune homme pour lui offrir ses derniers rayons et dorer sa sa peau de pêche. Avec ses épaules bien dessinées, ses yeux couleur océan et ses magnifiques cheveux bruns qui ondulent avec légèreté, Benjamin a la cote dans toute l’université et il le sait. Clara soupire. Pourquoi est-elle condamnée à fantasmer sur le seul garçon qu’elle ne pourra jamais avoir ?
***
22H30. La place Pey Berland est maintenant bien silencieuse. Quelques étudiants un peu éméchés déambulent dans la ville alors que le bruit sourd du tramway résonne au loin.
- Tu fais quoi demain soir ? Karine m’a parlé une soirée au Loft...
- Allô, Ben, y’a quelqu’un ?
Mais Benjamin n’écoute pas. Son estomac s’est subitement noué. Le regard sombre, il fixe au loin une vieille femme vêtue de guenilles qui s’approche lentement de la terrasse du café soudain déserte.
- Tu as vu ? La clodo là-bas...
Alors que les deux étudiants tentent de percer la pénombre pour mieux distinguer la silhouette qui semble glisser dans leur direction, la vieille femme s’arrête brutalement. Immobile, à quelques mètres seulement des deux amis, la mystérieuse marginale est infiniment plus vieille que de prime abord. Vêtue d’une robe de mariée noircie par la poussière et déchirée de toute part, la vieille femme est effroyablement maigre. Son visage sec et saillant est sillonné de rides profondes et ses cheveux gris et clairsemés sont dressés sur sa tête comme des centaines de petits fils de fer. Peu rassurée, Clara opère un mouvement de recul sur son siège.
- Mais elle veut quoi, la vieille ? T’as vu la dégaine ?
C’est alors que la vieille femme se précipite en direction de Benjamin et agrippe fermement l’extrémité de la table en marmonnant d’une voix presque animale des paroles incompréhensibles. Alors que prise de panique Clara se lève, la vieille sort de nulle part une mystérieuse petite bourse en tissu puis jette au visage de Benjamin une poudre épaisse qui se transforme rapidement en un gros nuage oranger.
- Mais casse-toi ! Casse-toi bordel !
Folle de rage, Clara repose sur la table le verre qu’elle a brandi en direction de la vieille femme quelques secondes plus tôt.
- Ca va Benjamin ? C’était quoi ça ??
Comme hypnotisé, le jeune homme continue de fixer l’endroit exact où s’est tenue la vieille femme. Sans qu’il s’en soit rendu compte, une larme s’est perdue en sillonnant son visage livide.
- Cette femme... Elle me poursuit dans mes rêves.
- Tout recommence...
Chapitre 3
Par Sophie Reymondon
- Tout-re-com-men-ce, répète-t-il d’une voix d’automate, à la tonalité monocorde, sans aucune émotion apparente.
Le regard fixe, pointé sur l’horizon où la vieille vient de disparaître, Benjamin est comme paralysé, pas un seul de ses muscles ne trésaille. Sa chemise blanche est maintenant irisée, maculée d’une infinité de petites traces orangées en forme d’étoiles. Ce serait presque joli ces éclats brillants qui créent un lien phosphorescent entre l’homme, le plateau de la table de bistrot et la mousse dans les verres de bière.
Clara veut se rapprocher de Benjamin et, dans sa précipitation, bouscule sa chaise qui oscille, hésitant dans un équilibre précaire sur la position à tenir. Il y a comme un parallèle qui se joue entre elle et l’objet. Clara en est consciente. Elle sait instinctivement, sans bien comprendre comment, que son sort est lié à celui de la chaise. C’est absurde mais elle capte tous les mouvements, dans leur moindre détail, et les enregistre, séquence par séquence, comme si elle était dédoublée, à la fois actrice et observatrice d’un film muet, tourné au ralenti. Pendant que la chaise danse sur un pied, elle se voit, interpellant Ben, la bouche grande ouverte, ses mains chassant la poudre de la table. Son ami ne bouge pas. La chaise se cabre. Elle le saisit par les épaules, le secoue, ses doigts se nimbant d’orange luminescent. Benjamin reste stoïque. La chaise bascule en arrière. Elle est prise de vertige, heurte les verres qui se renversent libérant une mousse ocre et scintillante, écœurante, elle va hurler, la crispation de tous ses traits l’en informe.
- Oups ! Tout va bien Mademoiselle ? J’peux vous aider ?
C’est leur voisin de table, qui tout en rattrapant la chaise, ose enfin mettre son grain de sel dans une histoire qui ne le regarde pas. Tout le corps de Clara se relâche instantanément. Un sourire étonné s’esquisse sur ses lèvres et son regard, glissant de son ami à la chaise, de la chaise vers l’inconnu, entraîne celui de Benjamin et le délivre ainsi de sa fixité. Une pensée incongrue s’inscrit dans son esprit : « C’est un 9. Plus 3 de bonus pour sa réactivité ! »
***
23h47. Clara et Benjamin ont quitté (ou peut-être même fui) la place bordelaise. Ils se sont réfugiés dans le studio du garçon qui semble avoir retrouvé peu ou prou ses esprits, enfin… au moins son ardeur !
Sur la table basse, les restes du café du matin et une bouteille de Rhum arrangé, où il ne reste plus qu’un fond couleur de miel et quelques bâtons de vanille qui diffusent leur parfum velouté. Tout porte à croire que les deux jeunes gens n’ont pas hésité à forcer plus que nécessaire sur le « remontant ». Affalé dans le canapé bleu, sirotant suavement le délicieux élixir, Benjamin observe avec appétence son amie qui s’est elle-même glissée par terre, au milieu des coussins, la tête abandonnée vers le divan. Elle semble endormie mais tient encore, entre ses doigts crispés, la chemise blanche constellée de la mystérieuse poudre orangée. Un mélange avec du phosphore peut-être, à faire préciser par des amis plus calés en chimie. Du phosphore… qui expliquerait la scintillance, qui expliquerait l’irritation musculaire et peut-être aussi… son désir d’elle. Il plonge sa main libre dans la chevelure souple de son amie, joue avec l’ondulation des boucles incertaines. Ses gestes sont doux, excessivement lents, puis plus pressants, plus insistants, entre tendresse amicale et massage ambigu. Les mots de Beaudelaire coulent alors comme venu d’un rêve :
« Et pourtant vous serez semblable à cette ordure, A cette horrible infection, Étoile de mes yeux, soleil de ma nature, Vous, mon ange et ma passion ! »1
Clara s’écarte.
- Non ! Ne recommence pas ! Pas comme ça !
- Chutttt ! Reviens ! Excuse-moi ! C’est juste… tout cette soirée… on a trop bu… excuse-moi ! Viens ! Ne t’éloigne pas ! J’ai besoin que tu sois là. Tu es mon amie, ma meilleure amie.
- Oui mais… je ne veux pas revivre une nuit comme l’Autre ! Je ne pourrai plus ! Tu comprends ? Sinon, je me perds, je ne sais plus qui tu es, ce que je suis pour toi. Oh Ben ! je ne veux plus entrer dans cette imaginaire-là…
- Chutttt ! Viens ! murmure Benjamin, regarde, tu brilles encore, c’est le phosphore tu crois ?
- D’accord ! dit-elle conciliante, mais ne me regarde plus comme ça, pas maintenant, pas ça !
Avec son sourire le plus caressant, il hausse gentiment les épaules et détourne les yeux de cette femme appétissante. Son regard se pose, comme par hasard, sur son livre du moment, « Les fleurs du mal ». Beaudelaire, phosphore, vieille, nuit… il ne peut s’empêcher de réciter : « des monstres visqueux
Dont les larges yeux de phosphore Font une nuit plus noire encore… »
- Stop Benjamin ! Tu as promis !
- Mais non ! C’est là ! J’en suis sûr ! Un poème des Fleurs du mal ! Passe-moi le livre s’il te plaît. Il faut que je le retrouve.
Benjamin s’est redressé, complètement dégrisé. Clara, stupéfaite lui tend docilement le recueil de poésie qu’il feuillette avidement.
- Regarde ! Lis ça, L’irrémédiable, je suis sûr qu’on y trouvera la clef.
Une Idée, une Forme, un Être Parti de l'azur et tombé Dans un Styx bourbeux et plombé Où nul oeil du Ciel ne pénètre ; Un Ange, imprudent voyageur Qu'a tenté l'amour du difforme, Au fond d'un cauchemar énorme Se débattant comme un nageur….
- Et plus loin :
Un malheureux ensorcelé Dans ses tâtonnements futiles, Pour fuir d'un lieu plein de reptiles, Cherchant la lumière et la clé ;
- Ou encore :
Un damné descendant sans lampe, Au bord d'un gouffre dont l'odeur Trahit l'humide profondeur, D'éternels escaliers sans rampe, Où veillent des monstres visqueux Dont les larges yeux de phosphore Font une nuit plus noire encore Et ne rendent visibles qu'eux ;
- Et pour terminer :
Tête-à-tête sombre et limpide Qu'un coeur devenu son miroir ! Puits de Vérité, clair et noir, Où tremble une étoile livide, Un phare ironique, infernal, Flambeau des grâces sataniques, Soulagement et gloire uniques La conscience dans le Mal !
- Je suis sûr qu’on y trouvera la clef !
1 Extrait de « Une charogne », poème de la section « Spleen et idéal » des Fleurs du mal
Chapitre 4
Par Evelyne Fort
Clara s’exclame :
- J’ai une idée. Jouons à ton jeu « Ecrire, le vivre et le parler et surtout surprendre l’autre !
- Je croyais que tu n’aimais pas
- Oui, mais là ! je suis inspirée. Suis moi.
Clara éteint la lumière. Benjamin et elle, se parlent dans le noir, se déplacent au son de leur voix
- Tu fais quoi Clara ?
- Je descends à la cave
- Tu vas faire quoi à la cave ?
- Chercher du charbon
- Mais Clara, on n’est pas en 1954 ! Plus personne n’a de charbon ! Clara, c’est pas facile à vivre, tu sais ?
- C’est quoi facile à vivre ?
- Mais au fond tu cherches quoi ,Clara ?
- Je cherche à tenir mon cerf volant, il dérive tout le temps.
- Y’ a trop de vent ?
- Au contraire, ça c’est bien, j’essaie de le faire danser en 8 couchés enchaînés
- Fais gaffe il va s’endormir dans l’infini
- Mais non il cherche le point G
- Mais c’est quoi ce cerf volant ?
- C’est mon âme . Elle respire sourcils ivres paupières à demi- lunées !
- Tu as la bouche en kaléidoscope, Clara !
- J’ai des dires à l’ombre du soleil vérité.
- Il respire vers quoi, ton truc ?
- Vers celle qui prédit et encailloute les secrets pour mieux les pulvériser! J’ai le structuralisme décoincé
- Là, tu as surtout le dadaïsme hypersurréalisé
- Qu’est ce que ça peut te faire ?
- Moi, j’aime mieux les clichés normés du passé
- Et moi, je vis le quoi faire du temps à être !
- Dépêche- toi Clara !
- Ah là ! il a trouvé une fenêtre dans le vent. Il est stable, Rock and stable.
- Alors , t’es où Clara ?
- Dans le charbon
- Mais qu’est-ce qui se déglingue tout le temps chez toi ?
- C’est ton histoire qui se déglingue et moi je disparais. Hé …ééééééééééééééé…elp !
- Clara arrête, t’es où ? C’est pas drôle ! On ne joue plus à ce jeu idiot. D’ailleurs, je m’en fous de la Clef , de Baudelaire , du phosphore, de la vieille et de la nuit…..Et puis, tu as gagné, je suis vraiment surpris et décontenancé …Je ne connaissais pas cette facette de toi Clara !
Benjamin trouve enfin l’interrupteur. La lumière rediffuse dans la pièce, mais Clara n’est pas là ! Il fouille la chambre, les placards, les couloirs, la salle de bain….mais il doit se rendre à l’évidence : Clara est disparue !
Ou je deviens fou, ou Clara est sacrément forte à ce jeu…j’étais loin de m’imaginer une Clara de cette trempe là !
Benjamin s’assoit en s’écroulant dans le canapé, abasourdi, abruti, ahuri avec ce sentiment troublant qui lui donne mal au ventre, cette gêne diffuse qu’il a ressenti ce matin en se réveillant. Il se dit à nouveau pour lui-même qu’il s’agit peut être d’un mauvais pressentiment, lorsque son regard se pose, sur son livre de Baudelaire… Phosphore, vieille, nuit , fleurs du mal, Clara, clef, cave… phosphore, vieille, nuit , fleurs du mal, Clara, clef, cave… il ne peut s’empêcher de répéter ces mots qui le harcèlent.
Il ouvre une page au hasard. Un texte en lettres rouges se superpose entre les lignes au poème : « des monstres visqueux
Dont les larges yeux de phosphore Font une nuit plus noire encore… » de Baudelaire. Il lit ce poème sorti d’entre les lignes :
Je te trouverai un vilain soir !
Soir de pluie givrée
Nuages violacés
Ciel tombant de lune mordorée
Orages dans les buissons
Du Parc du règlement de compte
Au détour d’une allée,
Courant , hirsute,
Les yeux perçant le Rouge
De ma laideur incontournable,
Ma vieille peau en manteau
Couvrant mal mon cœur sec gris
Tu voudras m’éviter. ..
Je te suivrai au pas cadencé,
De ta démarche boiteuse,
De loin, puis de très proche..
A dix centimètres de ton talon putride,
J’accélerrai la marche,
Ma malodeur envahira
D’une fulgurante seconde,
Le dévidement de ta mémoire..
Je doublerai l’allure
Te crochèterai la jambe
Tu tomberas, flaque, trou noir de l’espace,
Et tu ne seras plus, un vilain soir !
Benjamin a de plus en plus mal au ventre. Il se sert un Djeen Tonic.Puis deux, puis trois…..Quelle est cette nouvelle énigme : Parc, Règlement de compte, orages, mémoire, flaque …les mots tournent dans sa tête comme un manège infernal. Benjamin s’endort en pensant que tout ceci n’est qu’un cauchemar, demain il va se réveiller et Clara sera là, avec ses beaux cheveux chatains, elle retirera ses lunettes de soleil et dans un beau sourire lui dira…….
Chapitre 5
Par Agnès Técher
En se réveillant ce matin la, il est victime d’un horrible mal de tête et se levant du canapé où visiblement il a passé la nuit, il est pris de vertiges. Il essaye de se remémorer les événements de la veille qui lui paraissent encore flous et puis tout remonte à la surface… Tout de suite, il s’empare du téléphone et compose le numéro de Clara et puis avisant l’heure, il se dit qu’elle se trouve déjà à l’Université au cours de Lettres Modernes qu’ils ont en commun. A toute vitesse il attrape son manteau, hésite quelques minutes puis se dit que prendre un taxi pour retrouver son amie mérite bien de puiser dans ses dernières economies et que son propriétaire pourra bien attendre encore quelques semaines avant de recevoir son loyer.
Benjamin pénètre dans amphithéâtre avec discrétion vu que le cours a commencé depuis plus d’une quinzaine de minutes. Après avoir scruté un a un chaque siège occupé de la salle sans la moindre trace de son amie, Benjamin réfléchit aux autres moyens de la trouver au plus vite. Ayant repérer Estelle quelques minutes plus tôt, il se dit qu’il ferait mieux d’attendre la fin du cours afin de la rencontrer. En fait Estelle et Clara étaient inséparables à l’Université; elles s’étaient connues au jardin d’enfant et avaient passé toutes leurs classes à l’école primaire ensemble. Puis, Estelle avait déménagé et la distance se faisant, elles s’étaient perdues de vue jusqu’au début de l’année dernière lorsqu’elles s’étaient rendues compte qu’elles fréquentaient la même Université.
Benjamin ne peut plus tenir sur sa chaise, les minutes semblent des heures quand enfin la sonnerie retentit. Il se rue dehors le plus vite possible, se poste à quelques mètres de la salle de classe et scrute chaque élève qui en sort. Quand il aperçoit Estelle, il se jette sur elle et lui demande si ils peuvent discuter dans un lieu moins bruyant. Sur le chemin jusqu’à la cafétéria, Benjamin lui demande.
- As-tu vu Clara depuis hier soir? Sais-tu où elle se trouve?
- Mais Benjamin tu sais bien qu’elle a quitté le pays, n’est ce pas? Ça fait trois mois qu’elle ne vient plus en cours!
- Quoi mais pas du tout, je l’ai vu hier soir et puis… Enfin c’est compliqué mais elle a subitement disparu.
- Benjamin tu m’as l’air tout bouleversé. Allons boire un café et je te montrerai quelque chose.
Ils passent la commande pour deux expressos, attendent quelques minutes puis les apportent à une table au fond de la pièce. C’est alors qu’Estelle sort sa tablette pour lui montrer un email qui provient visiblement de Clara. Le message dit ce qui suit:
“Me trouve %^&$# à l’étranger. Ne reviens pas avant l’année prochaine *&^%#”@. Ne rien dire à mes parents. @#$ Vais bien. N’essayez en aucun cas de me contacter. Clara”
- Mais tu vois bien que ce n’est pas son adresse email, dit Benjamin.
- Oui mais peut-être que c’est la seule adresse à laquelle elle avait accès.
- Tout cela me semble très bizarre. Ce n’est pas le genre de Clara de tout plaquer du jour au lendemain.
- Tu oublies sa fugue.
- Mais ce n’est pas la même chose. Elle avait subie un gros choc avec le divorce de ses parents et n’était pas d’accord de vivre chez son père alors qu’elle était très proche de sa mère. Et comme ils ne voulaient rien entendre, c’était son seule moyen de montrer son désaccord.
- Ok si tu veux. Je dois te laisser. Estelle se lève avec précipitations.
- Mais tu ne peux pas me laisser résoudre cet énigme tout seul.
- Je n’ai pas le choix on m’attend, dit elle de loin.
***
Après trois jours sans nouvelles, Benjamin décide qu’il en a marre d’attendre passivement et pense qu’il est temps de passer à l’action. Il entreprend alors de fouiller l’appartement de Clara. Cependant pénétrer dans son immeuble ne sera pas une mince affaire. D’accord il connaît le code pour activer la porte d’entrée mais par la suite il sera nez à nez avec le gardien qui lui demandera qui il irait voir et Clara n’étant pas là, il l’empêchera bien sûr d’y entrer. Puis il se souvient d’une information communiquée par son amie quelques mois plus tôt:
Ce gardien n’est peut-être pas aimable mais je suis sûre qu’il a un bon fond. J’ai remarqué qu’il adore les sucreries. Chaque après-midi il se rend à la pâtisserie qui se trouve en face pour y manger un éclair au chocolat, boire un café et lire son journal. Tu sais sa journée de travail est longue, il commence à 3 heures du matin et ne se termine qu’à 18 heures, c’est normal qu’il ait un petit creux.Benjamin décide alors de se rendre à la pâtisserie vers 14 heures et d’attendre tranquillement l’arrivée du portier. Il profite alors de prendre un café noir en se demandant si les outils qu’il a emmené avec lui, lui suffiront à ouvrir la porte de l’appartement. Vers 15 heures, un homme assez grand en pantalon noir et chemise blanche pénètre dans la pâtisserie. Benjamin prend du temps avant de se rendre compte qu’il s'agit du portier, en raison de la barbe qu’il porte désormais.
Rapidement, Benjamin s’empare de quelques billets dans son portefeuille qu’il laisse sur la table avant de courir vers l’immeuble de Clara. Il tape les 5 chiffres qui déclenchent l’ouverture de la porte principale, se rue vers l’ascenseur mais comme celui-ci prend du temps pour arriver, il monte quatre-à-quatre les marches de l’escalier. Il s’arrête au troisième étage tout essoufflé, et marche jusqu’au numéro 33.
Benjamin prend dans son sac à dos une mèche de 4,5 mm et l’insère dans sa perceuse électrique sans fil et fore un trou en dessous de la serrure. Quelques minutes plus tard, il parvient alors à casser les crans et ensuite à pénétrer dans l’appartement. La pièce est très sombre, sans plus attendre, Benjamin examine la chambre, plusieurs vêtements sont éparpillés sur le lit et la porte du placard est restée ouverte ce qui laisse présumer que Clara a été contrainte de faire ses bagages en vitesse.
Il se rend près du bureau et aperçoit une carte postale déchirée avec une photo d’une vieille maison et écrit au dos de celle-ci le chiffre 3. Ne comprenant pas ce que cela signifie, il s’empare du stylo qui se trouve à côté sur lequel il est inscrit “Résidence Somerset”. Il continue à fouiller dans le bureau mais ne trouvant rien d’intéressant, il décide qu’il est temps de partir s’il ne veut pas rencontrer le garde en sortant. Il referme la porte d’entrée, ramasse ses outils dans son sac à dos et court vers la sortie de l’immeuble. Par chance il aperçoit le portier toujours dans la pâtisserie sirotant tranquillement son café.
De retour chez lui, Benjamin s’installe devant l’écran d’ordinateur et tape les mots “Résidence Somerset” et l’information suivante apparaît:
La Résidence Somerset se trouve dans le Sud du petit village de Pomerol, c’est l’endroit idéal pour passer des vacances tranquilles.
Sans plus tarder, il se rend sur le site de la SNCF, comme aucun train ne se rend directement dans ce village, il prend un billet Paris-Saint-Emilion qui lui coûte dans les 80€.Le train quitte Paris à 17 heures, comme il sait qu’il doit y passer la nuit, il remplit rapidement un sac de voyage avec le strict nécessaire. Comme il lui reste un peu de temps devant lui, il decide de se préparer un sandwich même si il n’a pas faim car le trajet durera quand même plus de quatre heures. Il se rend a la gare a pied car elle ne se trouve pas loin de là où il habite.
Pour passer le temps dans le train, Benjamin a emmené un roman de Douglas Kennedy intitulé Cet instant-là qu’il a commencé quelques semaines plus tôt. Bien que le livre relate la vie morose d’un écrivain venu a Berlin pour écrire son livre dans les années 80, il s’efforce de ne pas quitter les yeux de celui-ci afin de ne pas penser à ce qui est arrivé à Clara. Lorsqu’un crissement signale l’arrivée en gare, Benjamin découvre qu’il s’est endormi avec le livre ouvert sur les genoux. Il se lève, prend son sac qu’il a déposé au-dessus de son siège et se presse vers la sortie.
Il repère la première compagnie de location de voiture, présente son permis et remplit tous les documents nécessaires, s’empare d’une carte de la région, se rend à l’extérieur du bâtiment où il fait le tour de la voiture avec le salarié qui répertorie toutes les marques se trouvant sur le véhicule provenant d’anciens accidents. Quand enfin il lui tend les clefs, il entre dans l’habitacle, rejoint la nationale D243, roule une bonne heure puis tourne sur la D245 et en une demie-heure se trouve dans Pomerol.
Comme il n’a pas l’adresse de l’auberge avec lui, et qu’il fait déjà nuit, il decide de s’arrêter au premier motel pour y passer la nuit et renvoie au lendemain la visite de la Résidence. Après ce long voyage, il est épuisé et décide donc qu’il ne dînera pas, s’écroule sur le lit sans prendre le temps de retirer ses chaussures et s’endort en quelques minutes.
À vous d'écrire la suite !