Renaissance
Céline Spreux
Février 2013



L’empreinte sanglante d'un pied nu, la suivre au long d'une rue. Dépasser la rue Saint-Denis, et tourner dans la rue de la petite truanderie. Assise contre le mur, un pied nu, recouverte de sang, j'avais laissé des empreintes le long du trottoir, ayant marché quelques pas avant de tomber, affalée contre le mur.

Ma jolie robe noire à froufrou de style années 50 était quelque peu débraillée, une bretelle tombait le long de mon bras, tandis que le bas était relevé sur le haut de mes cuisses, sali. Assise à même le trottoir, je faisais face à cet homme, rencontré plus tôt dans la soirée, charmant et plutôt sexy.

Pour sa part, il était dans le dans la même position que moi, sur le trottoir qui me faisait face, me regardant fixement de ses beaux yeux verts.

Il faisait nuit noire, les rayons de la Lune éclairant faiblement la ruelle sombre. Il avait encore la braguette de son jean déboutonnée et son T-shirt blanc (qui faisait magnifiquement ressortir sa carrure de rugbyman) était quelque peu froissé. Tandis que je le regardais, complètement vidée de mes forces, du sang coulant le long du trottoir, je me remémorais le commencement de cette nuit…

Arrivée au pub aux alentours de 22:00, le dance floor n'était pas encore ouvert. Quelques personnes étaient au bar, buvant une pinte de bière et dialoguant en anglais, tandis que d’autres jouaient aux fléchettes.

Je repérais immédiatement cet homme, 1 m 90, une carrure de rugbyman, de magnifiques yeux verts et un début de barbe naissante très sexy, châtain comme ses cheveux.

Tandis que je commandais un verre au bar avec mon amie, je lui jetais des coups d'œil furtifs. Il ne tarda pas à me remarquer et je sentis dès lors que le contact était établi.

Le bar se remplissait tout comme le dance floor, et je me rapprochais de lui pour entamer la discussion.

Je sentais que tout son être appelait au sexe. L'attraction entre nos deux corps ne cessait d’augmenter.

Je laissais monter peu à peu l'excitation, dansant suavement avec lui sur un air de Bachata. Ses mains commencèrent à me caresser les hanches, ses yeux languissant de me découvrir plus intimement.

Il me proposa alors de le suivre à l'extérieur, pour être plus tranquilles. Ce que j'acceptais.

En franchissant la porte du pub, l'adage selon lequel il ne faut jamais suivre un inconnu effleura mon esprit, mais à ce moment-là, il attrapa ma main et, ivre de désir (d'alcool aussi) je n'hésitais plus.

Il m'entraîna alors dans la rue de la petite truanderie, une rue sombre et déserte, à l'abri des regards. Puis, il me plaqua contre le mur, remonta sa main le long de ma cuisse, qui s'enroula autour de ses fesses.

Il m'embrassa fougueusement, sa langue chaude et au gout amer de la bière s'enroula à la mienne dans une danse frénétique.

Puis, sa main remonta le long de mon entrejambe, sa bouche descendit le long de mon cou, me couvrant de baisers. L'euphorie qui s'emparait de mon cerveau était telle que, je ne savais plus vraiment où j'étais, ni même qui j'étais, je vivais un pur moment de plaisir.

Il déboutonna alors la braguette de son jean et, me souleva pour se glisser à l'intérieur de moi, à la fois chaude et humide, je me laissais porter telle une plume. Je sentais le va-et-vient de ses hanches contre les miennes, sa force me plaquait contre le mur froid de la ruelle. La jouissance était décuplée par l'alcool, le risque d'être surpris.

Je devinais qu'il allait venir d’un instant à l'autre et, dans une synchronisation parfaite, quasi divine, je jouis avec lui.

À cet instant précis où je vivais ce que certains appellent « la petite mort » (je compris exactement le sens de cette expression à ce moment), je sentis une puissante décharge électrique, un mélange d'endorphine et d'adrénaline, libérés par l'orgasme, mais également par une sensation de picotements dans tout mon corps.

La pointe métallique d'une fléchette (subtilisée lors de la partie qui se jouait à mon arrivée) qui se plante dans la chaire chaude, à l'instant précis où se rejoignent la petite mort et la grande faucheuse. Je ressens alors une sensation de grand frisson… Et quel dommage de me dire que je ne pourrai jamais le partager avec personne !

Le sang chaud est d'une couleur presque noire, il coule le long de nos deux corps encore enchevêtrés. Je lis alors une expression difficilement interprétable dans son regard, un relent de plaisir (mais également l'étonnement de l’émotion procurée par une expérience nouvelle, transcendante, je ne saurais le dire) mais je fixe cette image à jamais dans ma mémoire.

Il paraît que les yeux gardent la dernière image de ce que l'on a vu avant de mourir. Et j'ai du mal à trouver les mots pour décrire cette incroyable sentiment de me dire que je resterai, à jamais, son dernier souvenir, un souvenir à la fois jouissif et terrorisant…

Je le repousse légèrement de notre étreinte, il tente de retirer la fléchette de sa carotide et le sang se met à gicler d'autant plus. J'en suis couverte et me demande alors avec quel type de produit je pourrais bien en venir à bout.

Il recule de quelques pas et s’effondre le long du mur. Je lui dépose un baiser, me recule et m’affaisse à mon tour, sur le mur d'en face.

Nous nous fixons longuement, j'ai perdu la notion du temps. Et alors que la vie le quitte peu à peu, elle m'emplit. Je n’ai jamais éprouvé telle plénitude. Transposer la pulsion de mort, le fantasme d’ôter la vie en un acte si artistique. En psychanalyse, cela se nomme la sublimation, et quelle sublimation ! Tel un phœnix, je me sens comme brûlant de l’intérieur, transcendée, sa mort est ma renaissance. Plus rien ne sera jamais comme avant, ce pouvoir indescriptible est si puissant, je ne me suis jamais sentie aussi vivante, et c’est comme si tout prenait sens.

Assise sur le sol, je m'aperçois que j'ai perdu une chaussure pendant notre fougueux ébat. Mon pied nu est recouvert de son sang. Et j'ai laissé des empreintes sur la chaussée, entre lui et moi…
Je me souviens alors de cet adage qui m'est revenu en mémoire en passant la porte du pub « il ne faut jamais suivre un inconnu », et je souris.

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