Maive Bienvenue sur la Terre des Trois
Marie-Ève Bouchard
Février 2013


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Chapitre1- L’entrée en scène

« Il était une fois deux dieux, aux noms de Fram et Katrina, qui décidèrent de créer, un monde nouveau, à leur image. Un monde qu’ils voudraient devenir parfait...
Jadis, des constructeurs mortels bâtirent ensemble celui-ci. Depuis ce temps, à quelques reprises, une nouvelle vague d’âmes est amenée pour diversifier le peuple de la Terre des Trois.
Toi, Maive, tu as été choisi par les Dieux Mineurs, pour venir fouler le sol des divins protecteurs, loin des restrictions anti-évolutives des deux Divinités Majeures qui règnent sans partage sur le reste des univers.
A ton éveil tu seras libre, libre d’évoluer enfin dans un monde qui sera vraiment le tien, un monde qui appartient à chaque individu.
Maive ! Bienvenue, sur La Terre Des Trois. »


Cette voix forte, débordante d’émotion, s’est estompée, lentement... À ce moment, un frottement sourd prend place dans l’introduction d’un sentier rocheux. Une bête difforme traine dans le noir un corps inanimé, fixé sur une planche de bois. Seul le visage d’une femme est a découvert, le reste est enrobé de bandes de coton enroulées fermement comme l’on pense de sérieuses blessures. Derrière les sombres cimes, le soleil commence à faire son apparition, faisant surgir peu à peu la complexité du décor. Les oiseaux amorcent en choeur leurs vocalises matinales et le vent souffle leurs chants à travers toute la splendeur du lever du jour. C’est ainsi qu’à l’aube la vie se manifeste dans le boisé.

Dans le lointain, cinq hommes discutent à voix haute. La bestiole, trop occupée par sa besogne, fixe des yeux fermement la route devant elle, sans se soucier des bruits métalliques des armures, sans faire attention au duo de sabots qui compresse le gravier. La bête ne fait qu’avancer, avec détermination, usant sans remords les rebords de la planche de bois qui sert de carrosse à sa seule passagère. La discussion de ces hommes à la voix forte finira inévitablement par arriver à destination d’une oreille qui est malheureusement inapte à en saisir le sens.

- Mon cher Charbon, mon ami de toujours... Tu sais très bien que lors de notre dernier duel, je ne t’ai pas seulement soumis, j’étais littéralement sur le seuil de t’exterminer une bonne fois pour toutes. Ce fut un véritable miracle de trouver à temps une âme à sacrifier pour sauver ta petite carcasse répugnante. Alors... Pourquoi
t’obstines-tu à vouloir encore te battre avec moi ?
- Mais... Maître... Un jour, je réussirai à vous vaincre pour prendre votre place et enfin je serai dans les grâces du Roi.
- Baaah, c’est scandaleux ! Penses-y bien... Toi ? Le Maître ? Tu n'sais même pas diriger un cheval donc, encore moins notre groupe !
- Quoi ? Répétez ça pour voir !... Je vous trancherai la gorge !
- Il faudrait d’abord que je descende de ma monture, sinon, tu pourrais bien te blesser toi-même.
- Attendez un peu que je sorte mon épée !

Un troisième individu a levé légèrement un bras pour arbitrer les deux rivaux sur le seuil de la décadence.
- Du calme, Messieurs, et regardez plutôt ce qui s’amène vers nous... La bête... Et avec elle... Un nouveau-né...

Celui qui semble être le chef se racle la gorge pour attirer l’attention :
- Au parfum naturel dégagé, je déclare que c’est une femme... Une belle chair toute fraiche entrée sur La Terre Des Trois... Dites-moi messires, notre repère ne manque-t-il pas d’une présence féminine ?

En guise de réponse, les cinq hommes se sont esclaffés. Une main s’élève dans les airs, apparemment pour donner l’ordre d’arrêt au groupe. La créature, qui n’avait pas changé son rythme, est brusquement interrompue par cette troupe d’individus complètement vêtus de noir aux visages voilés de tissu, de masque, d’armure ou de maquillage qui bloque complètement la route. Un grognement interrogatif se fait ouïr, le chef s’avance légèrement à l’écart des autres.

- Pardonne-moi La Bête, où comptais-tu amener cette femme ?

Aucune réponse.
- Ça semble lourd dis-donc, nous pourrions te libérer de ton fardeau, tu sais...
Sans réaction.
- Ha non... Suis-je bête ?! Tu es bien trop stupide pour entamer une conversation !

Le rire général, ainsi que les mouvements qui les accompagnent, laissent sous-entendre un dégainement massif d’épées... L’assonance affreuse d’un glissement difficile entre métaux et fourreaux frissonne par sa résonnance au creux de rochers lointains. La Bête hurle un bon coup et parait s’enfuir en panique dans les bois. Il semblerait que les oreilles de cette pauvre créature lui ont évité une mort atroce. Le chef du groupe obscur est en train de ranger son arme, les autres emboitent son action.

- Ha ! Répugnant ! C’était bien trop facile, ça en est abrutissant !

L’un des cinq homme, celui au visage recouvert de poussières de charbon, a ouvert légèrement la bouche.
- Maître, vous avez vu juste, c’est une femme... C’est étrange, elle n’a aucun bagage.
- Je sais Charbon, j’ai toujours raison ! Sans doute était-elle destinée à être une gueuse... Mais peu importe, elle est à nous maintenant !
- Mais alors, Maître, cette gonzelle est notre esclave ?
- Bien, ça dépend... Si elle est assez jolie, je la ferai mienne !
- Mais Maître ! Vous avez déjà une épouse !
- Je n’en veux plus, tu la prendras... Elle n’est pas drôle, elle accepte tout ce qu’on lui demande, pas moyen de lui mener la vie dure à celle-là, c’est d’un ennui mortel !
- Sans vouloir vous vexer, Maître, je n’suis pas intéressé.
- Hé bien, nous la pourfendrons, c’est tout...
- Est-ce qu’on se fait une mêlée pour savoir qui aura l’honneur de la tuer ?
- Pas tout de suite Charbon. Pour l’instant, nous avons autre chose à faire. Il nous faut la ramener au bercail. Allez, portez là !
- Maître, j'ai envie de lui enlever ses vêtements.
- Ne la touchez pas ! Ce n’est pas pour rien ces bandages, se faire manipuler avant que le corps ne soit éveillé est extrêmement désagréable... C’est encore plus cruel que nous.
- Holà, c’est du sérieux... Bon d’accord, mais quant elle se réveillera, je veux la voir nue.
- Attention Charbon, tu risques de rouiller ton armure avec ta bave, gros cochon... Et en plus, c’est moi qui vais la découvrir en premier et si je décide d’en faire ma femme, vous ne la verrez pas.
- Bordel que j’aimerais ça être chef...
- Dans une autre vie... Ou... dans tes rêves...

Toujours ce même rire soutenu, sauf pour le dindon de la farce, bien sûr... Ainsi que pour l'enveloppe inanimée qui se fait maintenant porter à bout de bras de deux des cinq hommes. Le soleil profite de cet instant pour grimper un peu plus haut parmi les nuages du ciel, laissant percevoir quelques rayons éclatants, durant que ces voleurs de corps retournent chez eux. À l’horizon, une grande troupe se dessine rapidement sous le son de pas rythmés, lourds et récurrents. Celui nommé Charbon, prend de ce fait une pause, sans doute pour exclamé sa pensée...

- Hé'mm merde, c’est l'dirigeant d’armé avec son escorte personnelle, accompagnée, heureusement, du Roi...

Évidemment, un véritable chef se doit de répondre en premier.
- Pas de problème mes chers amis, comme toujours, j’ai la situation bien en main. Souriez Messieurs, et faites semblant de rien !
- Idiot ! Ils ne nous voient pas, nous portons tous des masques !
- Sauf toi bien sûr ! Tu es bien trop pauvre et bien trop laid !

Encore une fois, leur arbitre de dispute lève un bras pour...
- Chhuutte, les gars, ils approchent, vous vous battrez plus tard.
Et comme toujours, ce sera le chef qui devra avoir le dernier mot.
- Il a raison, restons vigilants.

Devant eux, une dizaine de personnes armées jusqu’aux ongles d’orteils avancent rapidement sur leurs chevaux. En tête, siège un bel homme vêtu d’une grande cape habilement taillée dans un fin tissu noir avec doublure et collet intensément rouge. Son étalon coloré et massif possède une crinière abondante et dont les longs poils au-dessus des sabots semblent former un quatuor de bottes hivernales. À sa droite, sur une jument translucide, se trouve une femme dans une robe plus sombre que la nuit, voluptueusement irréelle et fantomatique, flottant dans l'air tel qu'au milieu de l’océan parmi les vagues. À retrait derrière eux est situé un vieil individu exagérément orné de bijoux et de dorures, le dos recourbé par la lourdeur de l’imposante couronne qui lui coiffe la tête. En demi-cercle au dernier plan se tiennent sept soldats ; cinq d’entre eux vêtus de courts tabards rouges et deux de brune. Tous affichent en évidence le symbole de l’armée royale brodé de blanc sur l’ensemble de la surface du vêtement.

L’homme à la proue du peloton avance légèrement son cheval massif pour affronter les cinq obscurs citoyens. D’un léger mouvement du revers de la main, il est en train de dégager les longs cheveux noirs qui cachent son étonnant visage aux traits subtils, laissant ainsi entrevoir les quelques poils minimalistes semblant stratégiquement placés autour de sa bouche pour atténuer l’effet de jeunesse de cette peau "impossiblement" parfaite. Il est maintenant prêt à parler.

- Qu’as-tu encore manigancé Malzac ?

Malgré cette voix grave et autoritaire, aucune intensité ne s'émane de son apparence, comme si rien ne pouvait l’affecter vraiment. Il continuera sûrement sa plaidoirie, tel que si rien ne fut jamais...
- Pourquoi portez-vous cette nouvelle arrivée de la Terre des Trois au-dessus de vos têtes ? Ne me dis surtout pas que tu as de nouveau tué la bête ? Lyanne est tellement lasse de la ramener à la vie qu’elle est sur le point de lancer une prime pour ta carcasse...

Sa voix est d’une fluidité intimidante qui a son effet remarqué à coup sûr. Le chef du groupe adverse descend attentivement de son cheval, sans doute pour s’avancer vers les allégations portées contre lui. Sûrement est-il ce dénommé Malzac ?
- Ha ! En fait, j’aimerais bien voir ça ! La déesse de la vie provoquant un décès... À VOTRE place ! Ho ! Cher Fram De la Mort !
- Dans ton cas, ce serait plutôt te ressusciter, ou te laisser sécher au soleil...

Malzac a refermé ses poings. Sans doute est-il insulté de s’être fait couper la parole... Il semble retenir une grande colère pour n’user que de mots devant l’immensité de la troupe de gens armés.
- N’ayez crainte, la bête est vivante. Ce n’est point notre faute si elle abandonne les corps en nous voyant sur la route... Pardonnez-moi Fram, j’ai actuellement une requête à faire à notre bon roi adoré.

Durant l’échange, le second chevaucheur s’est permis de descendre de sa monture. Un simple signe de main à ses hommes et les sombres personnages ont déjà tous posé le genou droit au sol, telle une chorégraphie bien préparée. Le groupe semble maintenant fin prêt.
- Votre Majesté, nous supplions votre immense générosité à l’égard de vos Adorateurs qui vous demandent de nous donner cette femme en récompense de notre dévouement et en paiement de la dernière mission accomplie pour vous.

Le roi, dans sa grande barbe grise, laisse échapper quelques paroles bredouilles et lentes, qu’il faut réfléchir en retrait pour en saisir le sens :
- Mes chers... Adorateurs... Malgré... Tout l’amour... Que j’ai pour vous... ... Nous n’avons pas... à décider où vont les âmes... Si... Elle n’est pas pour... destinée à vivre... parmi vous... Vous ne... pourrez jamais... la... réveiller...

Le dénommé Fram, fier dirigeant de son armée, vient d’accomplir quelques mouvements brusques pour s’interposer dans la conversation.
- Ignoble créature ! N’as-tu pas honte de troubler la quiétude du roi ? Ses souffrances s'intensifient et toi, tu l’obliges à répondre à des requêtes futiles. Cette femme ne vous est pas destinée, vous n’aviez personne à recevoir dans cette cueillette d’âmes... Mes deux nouveaux larvisseaux vont s’occuper de porter ce corps. Nous l’escorterons personnellement jusqu’à l’auberge. C’est un lieu de rencontre propice pour trouver quel nectar d’éveil pourra donner à cette Suivante des Trois son souffle de vie.

Malzac, ce chef des Adorateurs du Roi doit se relever du sol afin de reprendre la situation en main.
- Mais... Hum... Mon cher Fram de la Mort, Dieu de la sorcellerie tant louangé, n’aimeriez-vous pas l'initier à vos arts ? Et ainsi, si elle n’obéit pas correctement à vos ordres, nous pourrions lui enseigner la... servitude. Dans l’unique but de se dévouer à la cause du roi, bien entendu...

Le cheval de Fram a henni un bon coup comme pour protester lui aussi contre les paroles entendues, Fram poursuivra sûrement le même concept.
- Vil pervers, nous savons bien trop quels enseignements tu as à l’esprit. Et j’ai bien assez de larves dans mon armée pour ne pas avoir besoin d’élever une chenille !

Une chenille, mais quelle étrange allusion... Compare-t-il le corps à un papillon qui sortira bientôt de son cocon ?
- Une... Chenille ?

Tous attendent attentivement la réponse de Fram qui ne saura tarder...
- Oui, sombres imbéciles ! C’est le féminin de mes larves de combattants, bande de mauviettes !

Ils ne se font pas prier pour regagner leurs montures... Malzac se doit maintenant de conclure la situation.
- En tant que chef des mauviettes, je fais toutes nos excuses à notre roi bien aimé, veuillez accepter notre révérence.

Les adorateurs et leurs chevaux se prosternent, pour ensuite faire trois pas vers l’arrière avant de se retourner et de partir dans une direction aléatoire.
- Mais, Maître, où allons-nous ?
- Tais-toi et galope, la journée est bien mal commencée.

Dans le camp adverse, le jeune conquérant dirige sa monture à l’opposé, puis il tourne la tête. Ses cheveux suivent gracieusement chacun de ses mouvements durant qu’il oriente son regard vers sa troupe.
- Qu’attendez-vous ? Allez ! Vous n’êtes certainement pas payé pour admirer le paysage !

Il observe ses deux recrus, qui ne savent comment se comporter devant cet homme dont seuls le langage et le ton de voix semblent transmettre un substitut émotionnel. Restant le visage neutre, il s’écrit pourtant.
- Prenez cette planche avant que je n’ordonne à mon armée de s’entrainer sur vos carcasses inutiles de larvisseaux incompétents !
- Oui Chef, à vos ordres, Chef !
- Oui Chef, à vos ordres, Chef !

Il les pointe sévèrement du doigt. Décidément, il y a encore quelque chose qui ne va pas et il finira par continuer sa plaidoirie...
- Combien de fois dois-je vous répéter que lorsque l’on s’adresse à plusieurs d’entrevous, vous devez répondre synchroniquement ?

Cette fois-ci l’une des deux recrues donne un signal à l’autre.
- Pardon Chef, désolé Chef !

La tête retournée vers l’avant, le dictateur se prépare une fois de plus à émettre sa pensée. Tous s’attendent à un commentaire désobligeant.
- C’est à mourir de honte ! Parfois, je me dis que je serais mieux de tout faire moi-même... Allez, essayez de suivre maintenant ! Yaha !

Disant cela exactement comme s’il savait faire quoi que ce soit d’autre que crier des ordres... ses malheureuses recrues descendent de leurs montures pour confier les courroies aux soldats. Fram, quant à lui, donne un petit coup de poignet et de talon pour que son cheval parte à vive allure. Tous cavaliers font de même et la troupe entière galope vers la destination ultime. Les deux pauvres souffre-douleurs usent de toutes leurs forces pour accomplir leur tâche esclavagiste... Le corridor d’arbres étroits de la forêt commence à s’élargir pour finir en croix de route. Sans ralentir la cadence, la droite est empruntée. Cela semble un chemin principal de ce royaume... Un amas de gens s’écarte vers les fossés pour mieux observer les deux hommes et leur colis inusité. La végétation se remplit rapidement des chuchotements de la population environnante. Cela ne déconcerte nullement les deux recrus qui courent de plus en plus vite pour tenter de récupérer leur retard. Ils craignent sans doute les représailles de leur chef, qui est, selon les Adorateurs, une sorte de Dieu symboliquement responsable de la mort et de la sorcellerie.

Au lointain, un château d’allure froid sculpté dans une pierre grise se dessine lentement. L’écho des chevaux se reflète malgré la distance sur la roche de ses grandes tours pour retourner aux oreilles des nombreux nobles qui font des emplettes dans de luxueux présentoirs qui longent les devantures de la demeure royale. Les deux apprentis soldats semblaient s'y diriger pour finalement tourner à son opposé une fois rendu à celle-ci. Ils empruntent un petit embranchement qui mène à une simplette barricade de bois en rondins. De l’autre côté, l’on peut déjà entendre quelques marchands de grand chemin qui tentent de vendre des articles de piètre qualité. Au centre de cette place populaire se dresse une grande scène qui vraisemblablement doit autant être le lieu du crieur public que celui des exécutions violentes, sans doute courantes selon la couleur brunâtre des vieilles planches amincies par l'usure. De l’autre côté se trouve Fram, seul, attendant ses deux soldats esclaves. Il reste muet, observateur... Maintenant à bout de souffle, l’individu à la proue de ce colis controversée semble vouloir extérioriser quelques syllabes.
- Chef... Oui, chef... Mission... Accomplie... Chef...

Les muscles fatigués de ce pauvre homme tremblent sous la pression. Fram plaide le désintéressement, son silence témoigne sans doute d’une pointe de satisfaction. Il avance simplement dans cette auberge dont seuls quelques habitués sont assis en attendant la première tournée du déjeuner. De toute évidence, il revient à la tenancière de prendre l’initiative de la parole.
- Ha bah, tian dont ! Si c’étions pas note bô Fram qui n’entrions pas dans ma balle aubarge !
- Salutation noble servante du Roi. Comme je puis constater, toute la beauté de la flore matinale de ces bois se rassemble comme toujours à votre généreux comptoir pour attrayer les prochains clients de la journée...

En guise de réponse, les quatre coquettes poupées de services aux décolletés plongeants ricanent comme des fillettes de huit ans. Fram s’approche d’elles. Le visage brillant d’espoir, elles le regardent se déplacer, pas à pas. Maintenant à leurs côtés, elles retiennent toutes un grand souffle fermement. Dans l’auberge, l’on peut presque entendre le coeur de ces jeunes femmes palpiter dans l’angoisse de leur attente. Fram fait un signe de tête à la première dame, qui semble déçue. Il laisse échapper de ses lèvres un « mademoiselle » bien prononcé à la deuxième qui fait tourner ses yeux en deux tours sur leur orbite. Il se présente face à la troisième à qui il glisse quelques mots à l’oreille, elle ricane de nouveau comme la fillette qu’au font d’elle-même, elle sera toujours... Sa route se termine devant la quatrième à qui il fait un baisemain. Le visage surmaquillé de la coquette poupée s’est teint de rouge, elle dépose sa paume sur sa poitrine immense, vis-à-vis son coeur, et tombe aussitôt évanouie sur le comptoir... Fram se retourne vers le plus intelligent corps inanimé pour continuer son travail, mais en choeur les trois femelles en chaleurs se trémoussent pour insister :
- FFffffFrrrraaaAAAaaammM ! Ne nous tournez pas le dos...

L’une d’entre elles semble un peu plus bavarde que les autres.
- Oui, Fram, nous sommes toutes ouïs Fram, toujours présente pour vous Fram!

Penchant sont imposant corsage, elle souffle quelques mots à son oreille :
- Oui, Fram, surtout moi. Infiniment prête à exhausser, vos moindres désirs.
Sans même sourire ou alors grimacer, Fram, garde son visage de neutre...
- Je sais très bien exaucer mes... "désirs" comme il me plaît.

La "belle", insultée, regarde jalousement ses camarades. Les trois
filles encore conscientes, si l’on puit vraiment le dire, commencent à se chamailler de manière hautaine à coup de chuchotements peu subtils. Sûrement croit-elle qu’une autre s’est chargée de la tâche "luxuriante" dont elle veut s’occuper? La tenancière, qui observait la scène avec attention, s’est discrètement déplacée au fond de la pièce pour y pour brasser son ragout. Elle s’approche maintenant de Fram...
- Vous orgôrdions comme kakun qui aurions basoin de kakchose vous.
- Effectivement charmante aubergiste. Nous avons ici un nouveau corps, il faut déterminer à quel groupe cette femme appartient.
- Vous aurions po pu cogner à mailleure porte ! J’âvions justament icitte lé pôtions dé révails des deux tempes, du villâge et même du château !

Celle-ci étire son bras pour amasser un vieux sac empoussiéré et se penche pour administrer une des potions à cette future citoyenne de la seigneurie du Roi. Fram pointe une immense horloge aux mécanismes complexes décorant l'un des mur.
- Prenez garde d’attendre au moins le quart d’une heure avant de lui en donner une autre, pour savoir laquelle a fait effet.
- Y’âvions pas d’inquiatude à y’âvouaire mon bô Fram, j’êtions djâ au courant d’toute la gamique !
- Parfait alors, je compte sur vous. Comme vous le savez, l’ordre est la base du bon fonctionnement du monde et il n’existe que si chaque chose est à sa place.
- C’étions parfat pou moé ! J’âllions m’occuper d’elle comme si c’étions ma prop fille !

Sur ce, Fram se tourne seulement vers la porte pour disparaître en vitesse. Entre-temps, subtilement, la quatrième catin de comptoir avait retrouvé le peu d’esprit qu’elle avait et le Quatuor de luxure s’était préparé à contre-attaquer à grands poumons :
- FFffffFrrrraaaAAAaaammM !

Puis un silence religieux semble s’immiscer doucement. Fram, quant à lui, continue sa route en ignorant les plaintes derrière lui... [...]

Une bonne partie du quart d’heure durant, personne n’a osé dire le moindre mot, regardant simplement le visage de cette inconnue. Le temps passe toujours et dans le cadre de porte, apparaît sans crier gare le sombre groupe des Adorateurs. Bloquant l’entrée, deux à deux, ils imposent leur présence.
- Halte là ! On ne bouge plus ! Le roi nous envoie tester la nouvelle venue, nous avons quelques... décoctions à lui faire essayer.

Charbon s’est posté devant l’aubergiste en la fixant droit dans les yeux durant que les autres se chargent de distraire l’auditoire. L’un d’eux en profite pour échanger les potions contre de piètres copies. La tenancière ne bouge pas, les yeux ouverts, l'esprit paralysé. Seul le corps inanimé est témoin de cet acte de fraude. Un Adorateur taloche vivement le dos de cette statue humaine qui semble se défiger en continuant son intention de parole comme si rien ne l’avait coupée.
- Vous avions-tu du culot ? C’étions icitte èl bô Fram qui âvions quémandé de prendre soin d’la femme ! J’êtions su’l point d’vouaire si c’étions pas l’tempe bénie qui n’attendions pas une nouvâlle prâtrasse ! À L’avion in assez bô visâge pour sarvir nos bons dieux comme j’m’étions dit.

Les adorateurs commencent à rire fortement telle une bande de hyènes malfamées. Leur chef, Malzac, allait sûrement répondre à cela.
- Oui, bien sûr Aubergiste, mais si tu tiens à conserver la propreté de ton établissement, il est mieux de nous laisser travailler en paix.
- J’âvions in idée. J’âllions vous en lâsser une, pis dans'l l'quart d’heure ça allions être mon tour ! Ça avions-tu du bon sens ?

Un rire enveloppe de nouveau l’espace sonore de l’auberge.
- Je vais être gentil cette fois... Je dis oui. Mais n’oublie surtout pas que plus c’est long, plus on fait fuir tes poules mouillées de clients.

Leur cri de hyène surgit davantage tel un appui aux dires du chef de leur petit groupe terrifiant, durant qu’un nouveau liquide glisse sur des lèvres encore inanimées. Puis, silence. Quelques curieux entrent dans la pièce pour ressortir aussitôt en voyant les Adorateurs entourer une table de six arborant une place libre. Ces mêmes personnes posent leur frimousse ébahie aux cadres des nombreuses fenêtres qui finissent par se remplir de paires d’yeux. Un faux sérum de vie est maintenant administré par l’aubergiste. Quelques braves se décident à entrer en faisant mine d’ignorer les individus menaçants. Potions après potions, rien ne semble changer... Quelques clients commencent à manger... Le silence devient lourd, il est alors le devoir de la maîtresse des lieux de modifier l’ambiance empoisonnée...
- Vous ârrions-tu r’marqué kakchose ? Regordons bian tout’l monde, la p’tite a rian ! Po de bagâge ! Ça ârrions-tu d’allure ça ? Son dieu l’âvions-tu oublié ? On pis pas lâsser ça d’même. Faudrions bian fârre kakchose pou c’pauve âme ! J’ouvrions une cagnotte ! J’mêttions mon grand sac à dos de vôyâges qui allégions le stock ! J’en âvions pu vrâment bisouin même si ça âvions bian bian d’la valeur ! Mais c’êtions â seule chose qui m’appartenions vrâment pis qu’j’avions l’droit d’donner.

Tous les regards sont perplexes... Une dizaine de personnes se décident à y laisser tomber de la monnaie de bronze. Quelques nobles y insèrent à leur tour chacune pièce d’or, pour démontrer leur supériorité. Quelques pauvres, très pauvres gens, y déposent des bijoux en os et des herbes de soins communs. Durant que le sac se remplit, la dernière des potions ne semble avoir aucun effet... L’aubergiste affiche un regard plutôt déçu.
- S’te pôve famme ! Dirions bian qu’est pas faite pour pârsonne de nous ôte... Kicé qui pourrions bian... Mais heille ! J’y pensions, vous âvions rien donné pantoute ! Allez ! Donnions-y kakchose vous ôte aussi ! Faudrions bian que la p’tite asse sente bianvnue... À L’aire tellement jeune... Faudrions pas qu’a l’aye d’la misère tut suite...

Les adorateurs, visés par cette intervention, se regardent, incertains de ce qu’ils doivent faire. Charbon sort alors quelque chose de sa bourse, justement, des morceaux de charbon. Les autres ? Une plume, un parchemin, de l’encre, de la cire à sceller, un allume-feu, un collier de femme en pierres volcaniques, un sabot Élite des Profondeurs... Et finalement, Malzac tend une étrange fiole au-dessus du sac. Les gens semblent très surpris de tels cadeaux de la part d’êtres aussi cruels tout en se méfiant du dernier présent, espérant recevoir quelques explications. Toute cette pile d’yeux qui le fixent ne lui pas le choix de répondre à leur questionnement intérieur.
- C’est du sang de vampire... En occurrence... Le mien...

L’ignorance des tiers se laisse de nouveau entrevoir par leur silence, des précisions sont donc plus que nécessaires.
- Ça redonne de la vie aux mourants ou octroie une résistance temporaire accrue aux gens bien portants... Ce n’est pas celui de Fram, père de tous les morts, alors, ça ne fait rien de plus.

L’aubergiste, qui avait pris des notes, roule un petit papier autour de la fiole et l’attache avec quelques-uns de ses cheveux.
- Tians, la fille aurions sûrement bisouin d’explicôtions...
- Cela ne sera pas d’une grande utilité puisqu’elle nous entend...
- C’êtions pas vra ?
- Je suis née de la même façon, n’oubliez pas...
- À l’entendions pou vra ? Par la bonté d’Lyanne ! J’ârrions jamas cru ça !

À la désignation de Lyanne, les adorateurs se sont raclé la gorge en choeur pour cracher sur le sol, la tenancière fait mine de n'avoir rien remarqué et quitte son poste pour s’approcher de la jeune femme inconsciente.
- Bian bonjour ma balle fille ! J’voudrions vous présenter ma balle aubarge ! On m’appelions Aubargiste, c’êtions èl seul nom qu’on m’avions donné. J’espêrions que quand vous saurions sur pieds vous vianderions fârre in tour pou nous vouaire et pis nous dire vôte tit nom. Par tou’é cas bianvnue dans mon aubarge ! L’Aubarge du Villâ-joua ! Bon, “Villa-joie” en deux mots c’êtions avant que’l Roi parte sua dérape pis qui nous mâne la vie dure, maintenant, c’êtions l’Aubarge du Villageois in un seul mot...

Les Adorateurs amorcent leur rire éclaté tout en sortant le plus lentement possible du bâtiment. Le corps inerte quant à lui redoute encore les plans malveillants qui les guideront à nouveau à leur cible sans défense... Le coeur de l’après-midi est sur le seuil de la contrée, les activités normales du commerce ont repris court et les gens ont presque oublié la nouvelle décoration momifiée qui encombre le plancher. Une tonne de bruit assourdit la place du village et l’auberge tremble. Personne ne semble soucieux, rien ne parait actuellement inusité pour les habitués... Telle l’oeuvre d’art d’un peintre surréaliste, le portait de Fram est apparu dans le cadre de porte. Un simple balayage du regard dans la pièce en dit long sur la raison de sa visite. En hôtesse exemplaire, Aubergiste doit prendre les devants.
- J’êtions bian déçu mon bô Fram. J’âvions vrâment pas trouvé kicé qui êtions supposé s’occuper d’l’arrivée d’la p’tite nouvâlle. J’ôsions espérer qu’mes excuses allions être bian pris ! J’âvions vrâment fa tout c’qui êtions possible pou moé.
- Nul besoin d’excuses Aubergiste. Chacune des venues en ce Monde est unique, spéciale, et surtout un procédé complexe...

Le silence suit.
- LAAAAARVISSEAUX !!!
Le ton soudainement haussé de Fram a dû surprendre même les plus habitués du village... Les deux fameuses recrues s’approchent comme un seul homme pour répondre à leur Maître absolu.
- Oui chef, à vos ordres Chef !
- Bien, ça avance... Le premier d’entrevous qui revient ici avec la Tribu Sauvage sera promu au rang de Larve ! Prenez soin d’avertir de la présence d’une nouvelle venue, qui est sûrement destinée à trainer avec les gitans, telle une pitoyable mendiante...
- Chef, puis-je me permettre une question, Chef ?
- Comme j’ai un peu de temps devant moi... Pourquoi pas ! Après tout, ta stupidité sera sans aucun doute une distraction satisfaisante...
- Pourquoi n’amènerait-on pas le corps directement aux gitans, Chef ?
- Ignare inculte ! Tout ! Sauf faciliter la vie aux exclus de notre société civilisée. Ce sont des sauvages, des gueux, des sorcières ou au mieux, des voleurs... Loin de nos devoirs de miliciens de leur accorder nos services... D’autant plus qu’ils ne payent jamais leurs impôts. Vous devriez peut-être tous deux les rejoindre et vivre dans leurs minuscules caravanes pleines de moisissures...
- Merci, Chef. Réponse très claire Chef 
!
Fram à peine a-t-il effectué quelques simples pas dans l’auberge que les quatre demoiselles de « services » commencent déjà à requérir son attention. Elles se trémoussent le corps pour agacer en vain l’oeil de celui qui ne semble pas les voir. Ce dernier tourne son regard vers une table pleine en ouvrant la bouche pour exprimer une nouvelle pensée.
- Il y a rumeur sur la ville que tu aurais hérité de tous les biens de ton père. Raphaël, est-ce bien vrai ?

Le quatuor de bassecour cesse de respirer, en attendant la réplique...
- Oui, oui, cela est la vérité, mais pourquoi donc cette question ?
- Bien, j’étais seulement curieux de la façon dont vous célèbreriez votre subite richesse.
- Par tous les dieux, c’est une bonne question !

Les yeux des quatre femelles brillent de mille éclats, luisant telles les pièces d’or de leurs rêves, en espérant une réponse de l’héritier.
- J’étais tant préoccupé par les funérailles que j’ai complètement oublié cela !
- En tant que divinité de la mort, j’exige que vous fêtiez l’exécution de votre père! Et je suis sure que les quatre spécialistes festives, ici présentes, vous planifieront, pour des tarifs bien modestes, une soirée bien arrosée... Enfin, nous pouvons quand même douter de qui finira par être plus "arrosé" que les autres...

Il semble que cette croyance de dieux soit vraiment persistante, puisqu’à ces mots les quatre filles se précipitent vers cet homme, laissant une pointe de répit à leur idole de charme sculpté dans une beauté aussi froide que le marbre. Fram ne peut que savourer la satisfaction de ses manigances...
- C’est une bonne chose de fait, je vais pouvoir travailler en paix !

Le corps inanimé est ébahi par l’aisance manipulatrice de Fram et pourtant, le reste de l’auberge parait aveuglé par ses belles paroles. Si cette femme le pouvait, elle montrerait fermement son indignation quant au manque d’intelligence de cette partie de la Terre des Trois... Aubergiste s’approche du chef d’armée, en tendant vers lui timidement le sac de récolte...
- Mon bô Fram, toute l’aubarge avions contribué pou fârre une balle cagnotte asse te pôv famme là ! Vous avions-ti envie d’êtes génâreux âc la balle nouvâlle ?
- Berk... Que peut-on offrir à une future voleuse, gueuse et traineuse de rue !
- Dites pas ça mon bô Fram ! Y faudrions donner l’exampe par vous-même ! La p’tite étions pas encore né ! À l’âvions rian faite de mal ! Donnions-y une tite chance d’être du bord d’la louâ !
- Vos paroles sont sages noble servante du Roi et votre dévouement un exemple pour tous ! Par conséquent j’accepte de participer à la collecte, espérant que ce geste de loyauté de la par d'un Dieu lui inspirera les mêmes attentions dont vous me chérissez.

Sortant de ses poches un peigne tout en or, l’assistance retient un profond soupir d’étonnement prononcé. Des yeux ronds, envieux et outrés, fixent fermement l'objet sur lequel il reste encore quelques cheveux noirs accrochés, comme si la vision du don était un sacrilège... Fram a posé un genou par terre, plaçant délicatement le peigne dans le sac, il en profite pour approcher son visage du corps inerte, comme pour chuchoter un secret aux creux d’une oreille endormie.
- Bienvenue sur la Terre Des Trois... Maive...

Est-ce ce prétendu titre de Dieu qui permet à cet homme de savoir le nom de celle dont tout le monde attend l’éveil ? Un esprit troublé peut se pressentir de la naissance de cette femme plus d’une fois déjà traumatisée par les habitants de ce lieu étrange. Aubergiste, complètement sous le choc, bredouille quelques mots à qui veut bien l’entendre.
- Bonté dé saints dieux bénis ! L’peigne sacré qui donnions à vote chevlure lé éclats d’une pierre prâcieuse ! Vous ârrions-tu tombé sua tête ?
- Du calme, chère servante du roi, mes cheveux conserveront leur splendeur puisqu'un objet identique m'attend dans mes quartiers.
- Par tout l’amour de Lyanne ! C’étions in machant bô cadeau ! Ho mon Dieu ! Ascusez-moé mon bô Fram... Je voullions pas vrâment... Ça a comme qui dirions sortie tut seul... C’que j’êtions maladrète... Mentionner sans râtnue l’nom d’la mère d’la vie ! En plain dans votte bô visâge ! Pardonnions-moé ma bâtize...
- Détendez-vous chère Aubergiste, je n’ai point de haine envers aucune déesse, même si nous ne partageons pas des visions identiques... Dans un sens, n’est-ce pas cela Un Monde Parfait ? Un monde acceptant les différences dans une parfaite harmonie ?
- Vous avions dont raison mon bô Fram ! Kakchose de parfat devions bian accepter tou-é dieu dé univers ! bian à part des deux Dieux Majeurs bah sure ! Qui êtions pas pantoute en accore âc votte bô proja !

Un substitut de rire est apparu aux lèvres de Fram, dont le visage ne change toujours pas. Aubergiste, importunée se trouve dans l’obligation de voir ce qui cloche...
- Par la foua des temples ! Voulions-vous tu bian m’dire poukoi vous rizions d’même ?
- Cette âme est bien aisée de vous avoir rencontré ma chère Aubergiste, vous parlez tellement qu’elle n’aura plus rien à apprendre une fois réveillé...
- J’saurrions pas si c’étions in compliment ou bian in r’proche... Mais ça voullions-tu dire qu’la p’tite à connâttrions rian pantoute ? À serrions-tu comme in tit bébé ?
- Pas à ce point... Mais les connaissances qu’elle possède proviennent toutes du Monde dont elle est issue et ne lui seront rappelées que si elle entre en contact avec l’objet d’un souvenir.
- C’êtions dangereux ça ! À savions même pas les louâs ! À pourrions s’faire arrêter pou rian c'pôve fille !
- Vous prenez ça beaucoup trop à coeur douce Aubergiste. Je suis sure qu’elle pourra bien se débrouiller...
- Bonté divine ! J’me comportions en mère poule, comme la mienne à l’êtions avant qu’le Roi l’exécution pour insulte au trône...

Un grand vide emplit la salle lorsque les regards des gens illustrent les couleurs de la pensée amenée... Les yeux toujours fermés, nul ne sait si le corps encore sans mouvement éprouve le même sentiment... Dehors, des bruits de pas chaotiques commencent à troubler la quiétude. En chorale étrange, une immense troupe gémit fortement des sons incompris.
- HeuK ! HeuK ! HeuK ! HeuK ! ... ... ... ARKEY !

D’une attitude fière, une recrue, la moins bavarde des deux, entre dans l’auberge, se faisant déjà couper la parole, par Fram...
- Lorsque je disais de revenir avec la Tribu... Ça ne signifiait pas de les amener tous pour envahir la place publique...
- Oui Chef, je sais Chef ! Mais, comme ça, le larvisseau numéro un n’avait aucune chance d'arriver avant moi Chef !
- In-gé-nieux, j’aime presque ton esprit de compétition exagéré.

La structure même de l’auberge semble surprise de ce compliment fait à un « simple larvisseau ». Ce dernier se prépare à répondre avec un grand sourire.
- Chef ! Merci Chef !
- Je te nomme représentant des larves ! Désormais, je n’aurai affaire qu’à toi. Ce sera ton devoir de veiller à ce que tout soit accompli. Demain, tu auras cinq larvisseaux à ta charge !

Étonné, le promu a avalé sa salive dans un mouvement brusque et sonore. Sans doute est-il effrayé par son inexpérience face aux nouvelles tâches qui lui sont assignées. Fram s’apprête à sortir du bâtiment. La recrue agrippe la planche et le sac donné par l’aubergiste, pour les trainer raidement au sol devant la Tribu Sauvage, sans se soucier des effets du choc provoqué par la tombée de la marche sur le corps inanimé. Les sauvageons bredouillent un langage incompréhensible tout en attrapant le tout pour les porter en triomphe au-dessus de leur tête en prononçant toujours :
- HeuK ! HeuK ! HeuK ! ... ... ...

La femme momie peut maintenant admirer un corridor d’arbres défilant plus rapidement que précédemment. Les gens de la seigneurie s’écartent de la route par dédain, certains affichent même leurs mépris en refusant de jeter un seul regard vers cette troupe. Les exclus, plus en forme que ladite civilisation, n’auront aucun mal à parcourir la grande distance qui les sépare du reste du monde. De là l’explication pourquoi la milice de Fram n’insiste pas pour percevoir les impôts... Il faut d’abord être capable de s’y rendre... La Tribu quitte la route dans la broussaille, contournant des marais infestés de moustiques pour déboucher dans une petite forêt de bambou. La nature sauvage de ce paysage enivrant les accueille à bras ouverts. Un chemin se forme, puis un fossé apparaît pour séparer cette jungle et une solide palissade de bambou. Le village est parfaitement rond, avec, en son centre, un emplacement pour le feu à proximité duquel des huttes sont disposées en demi-cercle. C’est un endroit simple, humble et chaleureux, où l'environnement et ses habitants se complètent aisément. Le sauvageon le plus recouvert d’ossements sort une potion pour la faire boire à l'inanimée. Tous se regardent, un court instant, puis ils repartent déjà avec le corps. Connaissent-ils la règle du quart d’heure ? Ils contournent leur palissade, se rendent complètement derrière le village pour s’arrêter devant des caravanes sans chevaux. Ensuite, l’un d’eux prend un grand souffle, la bouche prête à crier :
- TAYE ! Pti cadeau pour Tou !

Une gitane recouverte de bijoux métalliques sans valeur est apparue dehors.
- Qu’avonnes-nous là ? Oune nouvelle arrrivée sourr la Terrre des Trrouas ? Les astrrres sonne trrrès clairrres... Cette femme n’appartiennedrrra toudjourrrs qu’à elle mèmme.

Perplexe, la tribu la regarde. Trois enfants sortent de la caravane, ainsi qu’un homme un peu plus âgé. La dame, qui semble percevoir l'embarras de son assistance, devra finir par rassurer ses interlocuteurs :
- Posez-la sourr la table, à l’innetériorrr. Et mettez ses biennes à ses côtés. Ye vais quand mèmme louis donner nos potionnes.

La tribu exécute sa demande, elle fait ensuite boire la future résidente de ce monde étrange. Elle continue à parler durant qu’elle commence à enlever délicatement les bandages en prenant soin de ne pas toucher le corps...
- Selonne mes calcouls oune femme qui serrrait amenée r'ici aurrrait des connditionnes trrrès parrticoulièrres pourrr sonne éveille... Des connditionnes innconnoues mèmme des dieux.

Le temps s’écoule, rien n'apparaît à l’horizon de cette pauvre âme qui a épuisé toutes les potions de la seigneurie du roi... Aurait-elle été conduite dans la mauvaise région ? La bête aurait-elle fait une erreur ?... Un cri ? Il semble qu’un appel à l’aide ait surgi entre les palissades de la Tribu, le campement se vide sous le son du dégainement d’armes durant qu’ils enchaînent quelques pas de course, abandonnant de ce fait le corps inerte à une solitude totale. Sur ce, la caravane des gitans parrait commencer à tourner sur elle-même en devenant de plus en plus obscure et froide...

Tout est si sombre... Il fait si froid... Je ne peux pas bouger... Je distingue des bruits de guerre... Des épées... Des gens qui crient... Qui hurlent... Ça résonne dans mes os... Le son de la misère me gruge de l’intérieur... J’ai mal... Je... Je suis... Je suis Maive... J’entends des voix... Je vois plein de couleurs... Ce sont des images... Mon propre corps inanimé... J’ai peur... Très peur... Je sens la présence d'individus malveillants, tous ceux que j’ai croisés... J'ai l'impression d'être observée, épiée... Je ressens toutes ces personnes près de moi... Ils sont effrayants... J’ai peur... Je veux courir et fuir... Je ne peux pas bouger... C’est affreux... Tous les sentiments qui existent se bousculent en moi... Je crois être en train de vivre toutes les sensations qui auraient dû se manifester avant, mais qui ne pouvaient pas... Je suis troublée, confuse... Ça fait mal, j’ai peur, je souffre... Je dois me remuer... Je dois fuir... Ils sont tous là... J’ai tellement peur... J’ai faim et soif... tout le monde me regarde, je ne peux pas parler... Je voudrais pourtant crier, mais en vain... Je suis effrayée par cette société... Son Roi tyrannique... Son armée dictatrice... Ses habitants pervers et voyeurs... Que feront-ils de moi ?... Je dois fuir... Je ne peux pas bouger... Je dois courir... Mais comment ?

La noirceur totale commence à se dissiper... En fait, rien n’est moins sûr, mais un sombre décor semble lentement faire apparition et ça, c’est plutôt certain... Sont-ils tous là, à m’observer et m’attendre ? M’ont-ils déshabillée nue comme ils désiraient le faire ? Où suis-je ? Je sais que je suis embrouillée, je ressens un serrement sur mon âme. Je suis envahie de sensations disparates et je n’arrive à rien saisir... Que signifient ces images qui se répètent en boucle, comme un rêve superposé en voile par dessus la réalité ? Que puis-je discerner ? Une chevelure noire, des gens sombres, des chevaux... Tout est si flou... Je suis dans une très petite pièce, pourquoi ne puis-je pas bouger ? J’entends toujours d’horribles assonances de combat... Que se passe-t-il ? Je ressens du danger et je suis seule... Dans une maison-sarcophage... Je dois fuir... Un flash lumineux ? C’était horriblement blanc, mais je vois tout maintenant. Je veux me lever, je ne peux pas... J’essaie d’activer ma motricité, avec toute la volonté de mon effroi, mes muscles tremblent... Je ne peux toujours pas me mouvoir. Que se passe-t-il ? Je vis un cauchemar... J’ai peur de ne jamais me réveiller. Je ne peux pas bouger... Je dois forcer plus... Sans cesse plus. Me concentrer de toute mon âme... Et...

Je vois d’un tout nouvel angle, je comprends que je suis soudainement debout, sans avoir même ressenti mon corps, sans m’être réellement levée. Je dois trouver la sortie... Dehors, il fait encore soleil. Encore ? Oui, il faisait précédemment soleil dans le cauchemar de l’attente de vivre. Sursaut ! 

Un écureuil... inoffensif. Mais je courais déjà sans le réaliser, me précipitant à toutes jambes vers le néant. L’air me manque, ma respiration commence seulement à s’amorcer... Mon coeur palpite, il entame son premier battement. Et ça fait mal... La douleur envahit mon esprit et je cours davantage. J’ai l’impression d’être poursuivie. Je fuis, je fugue ma vie tout juste éveillée. J’ai peur... Tellement peur ! Peur de souffrir comme ces gens à l’auberge. Peur du Roi et Fram, des Adorateurs et la noirceur, de la guerre, du bruit, du sang, des armes... Je veux courir plus vite, plus fort... Mon coeur lutte contre ma cage thoracique.

Du poil ? Un immense mur de poils m’a arrêté brusquement... Un ours géant et difforme se dresse colossalement sur mon chemin, il grogne, je dois faire demi-tour pour repartir à la course, mais je me heurte déjà sur quelque chose... C’est un torse, le torse nu d’un homme, un sauvage. Ses bras viennent vers moi rapidement, j’ai peur... Il me saisit complètement et fait un tour sur lui-même en me déposant derrière lui. Son dos m’est exposé et j’entends un vif hurlement de sa part. Je crois qu’il tente d’effrayer cette abomination qui était prête à me dévorer en une simple bouchée de hors-d’oeuvre. Mon âme semble bondir hors de moi, la bête crie plus fort que lui... L’homme réplique alors férocement en agitant les bras... L’immense créature se sauve dans les bois en restant mystérieusement sur ses deux pattes arrières.

Je tremble... Le sauvageon m'observe, inquiet... Je crains la nudité, je dois regarde si j’ai des vêtements... Oui, des apparats très laids, qui me sont totalement inconnus... Je grelotte davantage, mes muscles ne me supportent plus, je me sens faiblir et tomber... Mais cet homme m’attrape dans ma chute... Je tremble encore, j’ai froid, j’ai peur... j’entends des voix disparates... « Bienvenue sur la Terre des Trois... Maive... » Celle de Fram, entre autres... Je vois sans cesse des images, lorsque je ferme les paupières... C’est troublant... Ses cheveux noirs... Son regard bleu qui m’observe... C'est effrayant... Ses paroles qui résonnent dans ma tête... Ça fait mal... Mes yeux s’emplissent d’eau... Des larmes coulent vivement sur mon visage. Je suis tellement vulnérable, isolée, seule... Cet homme près de moi est silencieux, je sens son corps se refermer sur moi dans une étreinte rassurante... Doucement, les voix et les images s’estompent... Progressivement... La paix semble consentir à s’installer dans mon esprit, me laissant par contre un vaste sentiment d’insécurité à peine comblé par la présence d’un inconnu...

Je dois me calmer... Faire cesser mon coeur de frapper sur mes côtes... 
Je vais me concentrer à respirer normalement. L’individu qui m’a porté secours me soulève du sol pour me porter dans ses bras comme l’on fait pour consoler une enfant. Ma poitrine contre son torse, ma tête sur son épaule... Je peux voir et ressentir son imposante musculature à peine forcer sous le poids de mon corps flasque, abandonné par ses propres moyens. Il marche lentement et je sens une vibration émaner de sa gorge.
- Comment as-tu fait pour t'enfuir aussi loin du campement ? Théoriquement, tes muscles ne fonctionnent pas encore...

Je trouve qu’il s’exprime plutôt bien, pour un "sauvage". Mais je ne peux rien dire, je ne peux rien répondre. Ma bouche ne me permet rien, à un point tel que je ressens ma salive s’en échapper subtilement pour couler en glissière sur son épaule...
- T’as vraiment dû avoir la pire frousse, je n’ose même pas imaginer. J’espère que c’est pas trop grave, ce serait dommage que tu aies des conséquences... Enfin, les gitans et la tribu doivent être morts d’inquiétude à ton sujet... Je te ramène, Obsidienne, va bien savoir comment t’aider à repartir du bon pied.

Parlant de mort, le visage de Fram revient me hanter... Non, ce n’est pas possible... S’il marche parmi nous... Il est l’un des nôtres, il est mon égal... Nous sommes tous égaux ! Le Roi n’est pas un Roi... Les dieux ne sont pas des dieux... Chacun possède des besoins à combler pour survivre, tout le monde s'équivaut de par la Nature, et je nous traiterai tous comme tel ! Je vais mieux... Je crois que je souris, si j’en suis capable, je n’en suis pas certaine... Je commence à ressentir la chaleur de cet inconnu, je suis rassurée, je sens mes yeux se fermer...

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