Anne Laplante
Mai 2013
Tout a commencé un jour avant guerre, deux naissances d’enfants antinomiques, l’un au nord l’autre au sud, de la Bretagne cela s’entend. Alors que les familles avaient moult enfants à l’époque, le petit garçon fut seul et unique. Il n’en fallut pas plus, pour que sa plus grande joie soit de former plus tard une famille avec des enfants courant partout des cassant les oreilles à leur père et mère.
Tous ses amis étaient au sein de familles nombreuses, cinq, sept, dix… frères et sœurs. Ils jouaient tous ensemble, racontaient à qui voulaient l’entendre les douces soirées passées à se chamailler lorsque les père et mère les avaient couché. Cela tournait souvent à la bataille de polochon ou bien aux confidences, que surtout les parents ne devaient entendre. Tout cela dans une bonhomie enfantine. Lui, seul, dans la journée il rencontrait copains et copines mais personne avec qui partager bonheur ou malheur, voire simplement discuté. Alors avant de s’endormir il s’imaginait, lui, le paternel veillant sur sa descendance, dans le doux ronronnement d’une maisonnée unie et chaleureuse.
Puis il y avait loin de chez lui une famille nombreuse elle. Tous les frères et sœurs, quittaient l’un après l’autre l’île. Puis vint le tour de la dernière, celle qui ne savait pas trop où partir, celle qui n’avait pas trop fait d’études, celle qui un jour pris le bateau et disparut dans la Bretagne terrestre. A force de déplacement elle revit la mer. Là c’est là que je vivrai !!! Mais si aujourd’hui on parle de barrière des langues, quand on pense aux pays de l’Est, ou au pays du soleil levant, vous m’opposerez qu’on y parle couramment l’anglais. Je vous rétorquerai essayez les fins fonds de campagne, là où en général la divine modernité n’est pas encore ancrée. Eh bien ! dans mon cas c’est tout pareille. Partir de Bretagne Sud et se rendre en Bretagne Nord, revenait à partir à l’étranger… Ce n’est pas le même breton. La jeune demoiselle en fît l’expérience à ses dépends.
Mais à bretonne entêté, bretonne et demie. Donc décidée à y faire son petit trou, elle commença par trouver du travail, puis tout au long des semaines se familiarisât avec sa nouvelle langue. Bref tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Comme vous le savez le monde est bien fait !!! Donc au cours des semaines qui suivirent elle rencontrât un beau jeune homme, avec une bonne situation. Ils se fréquentèrent, puis ils se marièrent et….
Comme l’avait imaginé Grand Papa, ils eurent sept enfants viables. Trois grossesses en plus où les derniers naquirent morts nés. Mais il avait une femme ; une grande famille ; un bonheur partagé par tous ; du moins il l’espérait.
Dans leur vie il y eut la grande guerre, par la suite vous vous en doutez, l’autre, celle qui concernât les enfants. Enfin les aléas de la vie en quelque sorte. Tout ce qui a fait le train train quotidien de l’époque
Pour revenir à la famille, il eut ceux qui sont restés, ceux qui sont partis, ceux qui ont étudié, puis il a eu celle qui est restée chez ses parents, une autre c’est égarée pas très loin, mais pour l’époque, c’était à quand même à une trentaine de kilomètre. Alors dans tout ce fatras d’enfants il y a bien en entendu, ma chère mère, ma tendre tata, puis tous les autres et chacun eut des enfants, plus ou moins.
Il y a ceux que j’ai connus, il y a ceux dont j’ai entendu parler et il y a celles qui se sont mariées avec deux frères !
Mais ne raccourcissons pas trop. Donc l’une partie oh c’est vrai pas très loin ! Elle fit comme sa maman : Elle trouva du travail, puis un mari. Enfin, accourût pour la misère de tous « la guerre 39/45 »… Un enfant naquît, mais avec les tickets d’approvisionnement et les restrictions, les conditions sanitaires pas très bonnes, l’enfant mourût. Mauvais départ !!! Comme le dit l’adage populaire, chacun doit payer son tribu mais la vie continue.
Le deuxième malheur vint que Monsieur devint alcoolique. Alors ? Alors, un deuxième fils naquît. Lui il vivra. Mais Dieu seul sait pourquoi, à une époque où le divorce était toléré, mais montré du doigt, un jour notre mère parti. Fît les bagages utiles, pris son fils sous le bras et débarquèrent chez papa et maman, sans cors ni trompettes. Loger dans la maison familial oh non !
Il y avait un grenier plus ou moins aménager, là tu vivras dit grand papa ! Fallait monter une sorte d’escalier pas trop sûr, l’on aboutissait dans un « studio » dirait-on de nos jours. Puis passa la vie. Tata se mariât avec tonton. Maman se remariât elle avec papa (frère de tonton). Papa lui travaillait dans la marine marchande. Tout roulât pour le mieux, jusqu’à ce qu’il tombe malade et dû quitter son emploi. Donc repris emploi mais dans la maçonnerie. Voila le décor planté.
Grand papa mourût, et suite à des conflits entre frères et sœurs, tous plus ou moins vindicatifs, chacun prit ses cliques et ses claques et tous s’éparpillèrent. Mais il y avait celle qui savait, celle qui travaillait, celle qui un jour sera la mieux payée de toute la ville (enfin des femmes qui travaillaient), celle qui mît au monde mon cadet puis allez savoir pourquoi, un enfant tous les sept ans s’était son rythme. Donc après tout le monde vînt une fille. « Bravo ! ». Mon frère aîné, demi-frère apprendrai-je par la suite, du haut de ses quatorze ans fût déclaré mon parrain. Problème s’il en est, il quittât la maison de bonheur, pour continuer ses études à l’extérieur de la ville. Puis il enchaîna sur l’université, autant dire que je ne l’ai pas franchement connu. Mon cadet du haut de ses sept ans, restât seul à la maison. Pourquoi ? Oh ben maman avait décidé que sa fille serait gardée par sa sœur qui elle-même avait un fils, plus âgé et deux filles, fausses jumelles, mais deux filles quand même et qui de plus étaient du même âge que moi simplement.
Nous arrivons donc au deuxième tableau. Si Grand Papa voulût une famille nombreuse et unie, maman n’avait de cesse que de diviser pour mieux régner. Papa, oh papa ! il laissait faire du plus loin que je me souvienne. Mais il était loin d’être idiot, sans doute aura-t-il préféré vivre esseulé au milieu de sa famille, que de se heurté sans cesse à un mur. Mon frère aîné du peu qu’on le vit, il allait rendre visite à son papa et revenait à la maison. Bien sûr maman l’y conduisait, quant à moi dans l’histoire, moi, bien c’était moi qui devais sortir de la voiture et aller dire à mon frère qu’il était temps qu’il revienne. Imaginez la tête du monsieur d’en face que je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam, toujours il répondait « il arrive ». C’était vrai plus ou moins rapidement.
Puis passât la vie, un jour on ne sait pourquoi l’on déménageât. Il me reste si peu de souvenirs dans cette maison. Où je dormais ? Comment s’organisait la vie ? Il y a le fait que j’allais à la maternelle pas loin de là, à deux ou trois reprises tous m’ont oubliée. Je me souviens d’un dessin tout noir, et d’une remarque très désagréable de la maîtresse, il y a ce jour, dans la semaine où oubliée à nouveau j’ai connu la cantine. C’était affreux, le bruit. Tout le monde criait, moi j’avais l’impression de débarquer dans un capharnaüm, l’impression de ne connaître personne… Eh puis ! Si tous les dimanches dans la soirée, papa me prenait par la main, nous partions tous les deux nous promener. Enfin au début. Ensuite il a préféré allé au troquet du coin, moi je buvais de l’eau avec du sirop, le pied, y’avait pas ça à la maison. Un de ces dimanches là, maman déboulât dans le troquet, je ne sais ce qu’elle dit, mais m’arracha à la main de mon père et plus jamais je n’eus le plaisir d’accompagner papa.
La vie passât, tout le monde grandît harmonieusement, moi !!! Non. Qu’elle harmonie peut-on trouver dans une vie balancée entre chez moi, peu souvent, surtout pour dormir, et puis ma vie chez ma tante. Les cousines, oh les cousines… C’étaient les reines, elles avaient de bons résultats à l’école, je ne devais pas les égaler ou pire être meilleure, alors je m’incrustais dans ma médiocrité. Enfin, une médiocrité relative. Il fallait quand même que je puisse suivre le train scolaire des cousines et passer de classe en classe, comme elles, pour pouvoir continuer a aller chez ma tante ! On allait en classe ensemble, on faisait les devoirs ensemble, on passait les vacances ensemble… pour un peu on m’aurait laissée là, je ne dérangeais pas trop.
Ma grand-mère et marraine, ben elle avait sa préférée ! C’était pas moi ! Un jour, pour qui, pour quoi, je réussis mieux qu’elles deux. La réflexion de la bonne sœur qui nous faisais la classe est toujours ancrée dans ma tête : « voyez ma sœur elle n’a pas pu tricher ? » (c’était dit à la directrice). Raté ! je pouvais aussi être douée. Et puis, et puis, il y avait les mercredis, le catéchisme !!! Le retour chez ma tante, le cousin en prime. Oh ! Je n’y faisais pas vraiment attention à lui. Ses devoirs, il devait les faire seul, dans sa chambre ??? Mais un mercredi il s’est invité à nos jeux d’enfants. Au début ! c’était pas trop mal, on dira que c’était le temps des cerises.
Mais un jour ! il a dit ! On va aller dans les bois et jouer à cache-cache… Moi pas contre, mais moi, pas encore connaître la suite des événements. La surprise a été de taille. On change les règles, il a dit, on fait deux groupes, il a dit. Je vais avec Germaine, vous vous restez toutes les deux. Moi, plus comprendre. Enfin, je serai vite au parfum. Croyez-moi, ce parfum là, j’aurai préféré jamais le connaître ! Les cousines comptaient, comptaient… le cousin m’emmenais, j’ai jamais compris pourquoi les cousines ne nous ont jamais trouvé. Mais lui, lui, il a fait son éducation sexuelle sur moi…. M’a tripatouillé tout partout, m’a laissé un goût de malheur. Personne, personne à qui en parler. Pourquoi j’avais l’impression de mal faire, j’avais rien fait. J’avais subi, pendant plusieurs années. Tous les jours il fallait retourner, chez ma tante, l’angoisse, la peur, la meurtrissure. Mais personne ! Un désert d’incertitudes et de colères. J’aurais voulu le crier, mais, mes cordes vocales étaient en panne. Alors, alors ! Le poids du non-dit, le poids de la peur et le poids du mensonge, ont envahi ma vie. J’ai voulu oublier, j’ai réussi et oublié le meilleur comme le pire, puis un jour, un jour…
Pour couronner le tout l’épilepsie… Ah là ! Là c’était foutu. Plus de sport, plus de fatigue plus rien, de ce qui me plaisait. Une mère qui vous donne au compte goutte les médications, elle décide de son plein gré de diminuer les doses prescrites, parce que vous ne faites plus de crise. Puis il y a la rechute…
Entre-temps non seulement vous avez eu droit aux sévices de votre cousin, mais maman ne pouvant plus souffrir papa, elle, décide, de venir, dormir avec vous !!! Pourtant, pourtant, y’a de la place à la maison. Y’a une chambre qui sert une fois tous les 36 du mois, mais, c’est celle de son fils. Il y a l’autre, vide aussi la plupart du temps, mais, c’est la chambre de son second fils. Alors il y a la chambre qui fait débarras, mais, c’est la chambre de radio amateur de son fils aîné. Alors, alors, vous n’avez là, franchement pas votre place. Mais, il faut bien dormir quelque part… Un jour enfin les gars se réveillent et déclarent ensemble un dimanche où ils ont débarqué ensemble à la maison, ce n’est pas la place d’une enfant dans le lit de sa mère. Ils débarrassent la chambre débarras et trouvent un lit. Par je ne sais quel biais vous obtenez une place dans la maisonnée. Quatorze ans dépassés. C’est quand même pas mal… Puis elle ne vous a jamais parlé de la vie intime d’une femme, vous êtes mis un jour devant un fait accompli, vous n’y comprenez rien ! Vous êtes en échec scolaire, mais têtue, puisque vous ne trouvez pas de travail, maman sur vos talons quand vous vous présentez à une place. Alors un an passé au chômage, vous reprenez le lycée, vous sortez bachelière !!! Miracle, non ?
Un jour vous rencontrez quelqu’un, mais votre passé vous rattrape, en résumé deux vies gâchées, trois mois d’HP, dont un où tout vous échappe. Puis tout est à rebâtir à quarante ans passé. Maman elle est grand-mère, puis arrière grand-mère. Elle se fait fort d’avoir élevée ses petites filles. Vous êtes là, spectatrice, d’une grand-mère qui sait parler de tout avec ses petits enfants. Bien sûr vous n’avez pas eu d’enfant, maman, elle vous a acheté. En quelque sorte elle vous a versé une pension. Votre parrain est décédé, votre cadet a débrouillé tous vos papiers. Vous, vous avez trouvé votre voie, mais à quel prix. Maman coure après la centaine. Moi je suis loin de ma famille, je ne conduis plus, belle excuse pour ne pas aller voir maman.
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