LA PEUR DU GRAND

Roberto Matta
Osman Chaggou
Mai 2013


Le téléphone sonna aux environs de 23 heures. Ce n’était nullement bon signe. Mon père qui craignait la chose répondit au coup de fil maladroitement fidèle à lui-même. Il semblait bouleversé  et confus. Il raccrocha péniblement avant de commencer à me crier dessus.

 « Mets tes affaires fainéant, ton grand- père refait une crise »

Je mis alors une veste et des babouches et fis mine de sortir.

 « Les clefs de la voiture idiot » me lança-t-il. 

Tout au long du trajet, mon père marmonnait, il me semblait entendre des prières et des versets. Il bredouillait plein de petites choses et avait vraisemblablement peur, se réfugiant dans la récitation des quelques sourates apprises récemment en espérant y trouver un semblant de réconfort. Il n’en était que davantage tendu et cela me rendait terriblement anxieux. Le portable de papa sonna tout près d’un point de contrôle de la police. Le pire était-il arrivé ? Je m’empressais de lui demander qui l’appelait. Il me répondit que c’était mon oncle avant de décrocher.

 « Ok, on arrive ».

Il nous fallait rebrousser chemin et nous diriger vers le CHU. Grand-père était admis aux urgences. 

Une semaine auparavant mon grand-père avait fait un AVC et s’était retrouvé pour quelques jours au service de neurologie. Il était dans une chambre où régnait une odeur pestilentielle, on aurait dit les toilettes publiques d’un marché. Je lui avais rendu visite deux jours après sa première hospitalisation. Il occupait le lit du milieu avec, comme voisines, deux vieilles femmes. Celle de droite était très mal en point. Ses yeux tristes et vides regardaient le plafond. A la voir comme cela, on devinait qu’elle en avait marre et qu’elle voulait partir coûte que coûte, quitter cet endroit affreux qui n’inspirait que la peur de la mort. La pauvre n’avait même pas dans ses prunelles cette flamme désespérée qu’on déniche à bout de souffle afin d’implorer la clémence. Mais elle me rassura quant à l’état de santé de mon grand-père, même si la pâleur de son visage me rendait perplexe. Lui, au moins, avait les yeux fermés, il évitait ainsi le regard traître de la mort qui rodait dans les parages en se frottant les mains. Mais ce n’était, tout compte fait, qu’un sursis. L’odeur finit par m’exacerber,  je suis alors sorti dans le couloir où l’on entendait toussailler un infirmier cloîtré  dans un bureau. Je pris place tout près d’un chauffage qui me rappelait ceux qu’on trouvait dans les classes de mon ancien collège. C’est à ce moment là que me revint un souvenir tellement lointain que je le confondais avec des racontars enfantins. Je me suis rappelé de mes années de collège quand, aux environs de 11 heures et durant le cours insipide de monsieur Benzid, on entendait au dehors une personne héler

 « Y a-t-il des choses à vendre ? Postes, réveils, montre, y a-t-il des choses à vendre ?  Postes, réveils, montres » une vraie récréation pour les élèves, un moment qui faisait rigoler toute la classe et surtout ce satané Billel qui s’empressait d’imiter la voix grave du vieux monsieur achète tout.

« Postes, réveils, montres » ce pitre adorait amuser la galerie. Dieu que je le haïssais. Le monsieur dehors continuait à crier sa voix traversant les murs et les fenêtres que venait de fermer Djalila le chef de classe.             

« Postes, réveils, montres… » Pourvu qu’il s’en aille, pourquoi ne part-il pas tout de suite ? Cette voix me torturait. Je demandai alors au prof de me laisser aller aux toilettes ce qu’il me permit, lui qui ne refusait rien à personne. Je descendis rapidement les escaliers et m’empressai de m’engouffrer dans les toilettes. Je pissais avec cette voix en bruit de fond « …Postes, réveils, montres… » Puis plus rien.  Comme par enchantement, la voix s’arrêta.  

Je revenais alors remontant les marches terrorisé et j’hésitais longtemps avant de me décider à entrer en classe. J’avais peur que la voix reprenne de plus belle, j’avais surtout peur que l’on puisse reconnaître le petit fils de Rien à Vendre. Je ne le savais pas très bien mais, à l’époque, j’avais affreusement honte de mon grand-père. Honte à moi !    

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