TRAVERSÉE DE LA MERDE

Marc Aynié
Juillet 2013


Cela sent la vermine les mouches sont partout le sol a disparu loin dessous cela forme des vagues et les plus gros débris sont comme des radeaux qui surnagent au milieu de la tempête et il est le naufragé tombé à la mer de l’immonde il s’enfonce encore progresse coûte que coûte il écarte des amoncellements de bouteilles plastiques et s’amarre à un pneu passe à travers une planche pourrie dont les clous rouillés lui lacèrent le mollet cela n’est pas le pire en face voilà une lame de fond de ferrailles disparates qui s’abat sur lui plaques d’acier pliées, essieux couverts d’huile câblages de toutes sortes et de tout diamètre des grilles du grillage des sections de rails tout est pointu tout est hostile cela rentre de partout délibérément piquète et ponctionne forcément martèle la peau la poinçonne l’empale et la tranche dans les bruissements dans les crissements du métal au contact du métal rencontrant avec extase des parties molles à aiguillonner il avance en grognant en suant en saignant dans la surface barbelée étalée à toute distance pas le choix plus le choix le ciel là-haut disparaît mangé à son tour le ciel est couleur cuivre fumigène il n’y a pas de répit depuis le fond des âges tant et tant d’espèces s’en sont allées vaincues par des décharges kilométriques spécimens qui n’ont pas pu s’adapter d’autres suivront encore seule la pire des vermines peut survivre dans pareil environnement il avance il chemine au mépris de ses blessures maintenant lacérations vermillon contusions violines il avance en dépit de ses membres suppliciés il progresse parmi les tas sans les voir vraiment il se débranche se déconnecte pour mieux ignorer ce qu’il fait et ce dans quoi il le fait cela tremble cela est vivant comment a-t-on pu en arriver là les récolteurs de compost eux-mêmes ne l’ont pas suivi jusqu’ici cette ultime frontière de l’indicible où il n’y a plus que lui les mouches et des oiseaux au gosier blindé et au bec acéré qui volent en rase motte mais voilà sous ses yeux dans le grand tourbillon dans le vortex absorbeur tout un tas de containers estampillés recyclage des sacs des emballages avec sur leurs flancs le glorieux logo bien vert le signe du propre on est sauvé ah non on est dans le grand dépotoir final la preuve qu’on ne se donne plus la peine de trier on ne stocke plus on s’en remet à la fosse d’aisance la fosse commune bien plus rapide je construis ce bourbier ce charnier cet entassement monumental qui me ressemble qui m’appartient qui me décrit qui me contient allez encore une pelletée encore et encore une dose car il n’y a pas de plafond pas de limite assez grande pour être comblée regardez admirez cet artistique conglomérat cela se verra de l’espace mes amis mes complices cela sera notre postérité je rame et j’ondule je me découpe par mes propres reptations obscènes j’accours vers du devenir qui n’en a que faire je ne veux pas finir ici et maintenant laminé et vidé de mon sang comme la dernière des offrandes à un compost dévorant son créateur cela dure et dure encore il n’y a pas de fin assurément pas d’extrémité les vagues passées l’une après l’autre pendant des heures misérables le jour est-il tombé la nuit déjà franchie bientôt la tasse définitive la brasse coulée le plomb perclus sombrant à pic dans l’inimaginable océan de particules nauséabondes avariées déstructurées vidées de sens à bout de souffle le cheminement se fait moins haut les lames de fond moins coupantes et il se devine les panaches de fumée et l’odeur des puissants diesels de scarabées mécaniques (*) poussant toujours plus loin vers la bordure les immondices amoncelés, la senteur lourde du fioul et les halètements poussifs des moteurs - il est en vue de la zone franche après tant et tant de reptations pas racontables.



4 commentaires:

  1. Bravo pour l'absence de ponctuation qui n'enlève rien au texte et à la syntaxe et qui nous donne l'impression de boire la tasse dans cet océan de merde humaine. Un texte engagé comme je les aime.

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  2. Je suis impressionnée, sans voix et à bout de souffle! Très belle façon de rendre l'image comme un peintre qui aurait tout envoyé en même temps sur la toile sans prendre le soin de "peindre".

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  3. Boire la tasse, oui, texte engagé, oui. J'étais en apnée…
    Mais tout de même, c'est un texte difficile à lire et je ne vois pas ce que l’absence de ponctuation lui apporte de plus…
    Par contre, j'ai beaucoup aimé le commentaire de Louise Tessier et sa comparaison au peintre. Il m'a permis de relire ce texte avec un regard neuf et de l'apprécier à un autre niveau. Comme quoi, les commentaires sont importants tant pour l'auteur que pour les lecteurs ;)

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  4. Je n'ai pas accroché du tout. Désolé. J'aime que l'on me raconte une histoire. Recherche louable mais qui ne me touche pas.Mida

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