Le TER du Grand Quelque Chose par Achille Watergut


Elle se cassait encore une fois la gueule sur le seuil, et ce ne serait pas la dernière. La Gare Saint Lazare et sa consigne perpétuelle la ramenaient chez elle par le TER du Grand-Quelque-chose. Chez elle ? Elle, elle voulait sentir mille réponses. Un bonze orange dans la salle d'attente. Un pianiste à jeûn depuis longtemps. Faute de quoi. Elle, elle à côté, juste à côté des migrateurs totaux, elle, l'erratique, enlisée dans l'entre-deux. "Au revoir, Monsieur". Sentir et Survivre. A chaque aller-retour, elle se perdait, en enfance ou dans les étoiles. Chaque voyage était magnifique. Il fallait regretter pour survivre. Un sourire à côté d'elle, elle qui savait. Zones d'attente. Intérim de l'espoir. Plus d'amnistie possible pour elle. Elle renonçait enfin à partir. Le portable coupé ne cessait de vriller des messages courroucés, hautains, déjà lointains. Elle sentait toutes les routes, maintenant. De ce dedans-là elle ne réclamait plus rien d'autre. Elle était, comme la femme voilée, réfugiée. Enfin. Plus de compromis. "Arrête de tricher", lui lançait souvent un collègue du soir, au bout d'un monologue devenu rituel. "Je sentais qu'il avait compris. Pourquoi est-il mort, lui ?", pensait-elle parfois. Quand la poussière vive de tous les là-bas reste collée aux chaussures. Quelquefois le bus 62 semble rentrer dans la terrasse chauffée. Cristal de Mission. Elle reviendra quand-même, pour la Saint Nicolas, qui est aussi le patron des marins en détresse. C'est le seul bon côté des adeptes du Titanic. Allez, une dernière fois... Une dernière fois, elle arrache un billet et elle se retrouve côté couloir, non fumeur, compartiment à l'ancienne, on l'aide (bien sûr !) à monter sa grosse valise depuis longtemps coincée en position "on", Boule de Suif, et elle se sent enfin bien, bien presque à parler. C'est le loft bobo, mais au toit crevé. Tu es morte et tu vas enfin pouvoir voyager. Comme allégée par la fièvre qui envahit l'espace, dedans, dehors. Et ils sont tous là, sauf qu'ils ne regardent plus rien, ou pas encore. Ils sont tous là dans le TER du Grand Quelque-chose. On est tous las dans le TER du Grand Quelque-chose. Tout le monde attend. Et personne ne sait combien de tours, de retours, d'arrêts, de sorties, d'entrées, de départs, de pannes, de chocs, d'espoirs et de rechocs, avant ... avant que... Tu te crois hors des normes. Dans ton alcool le plus haut, jamais tu n'avais osé imaginer le dire ce Passage... A l'instant tu les aperçois tous, tout à côté, un peu en haut, leur Corail accélère et tu files bientôt en touriste des étoiles. Tu sais que c'est toi, qui n'est plus obligée de partir pour être, qui dira la vie.



3 commentaires:

  1. Un texte poétique assez difficile à déchiffrer mais qui colle finalement bien au thème. Je me reconnais bien dans certains passages ("je sentais qu'il avait compris. Pourquoi est-il mort, lui ?")

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  2. J'ai eu un peu de mal avec ce texte. Pas facile à lire, il ne m'a pas "embarquée". Cependant, il intrigue et n'est effectivement pas dénué d'une certaine forme de poésie.

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  3. Un texte qui sort des tripes et n'est pas toujours aisé à ressentir; bien écrit cependant dans un style "actuel" percutant. J'ai bien aimé car il sort de l'ordinaire.

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