Et dans le fond de ton œil, qu'est-ce qu'il y a ? Par Evelyne Fort

A peine embarquée sur le bâteau, navette pour l’île d’yeux, me frayant un passage parmi les estivants., j’oscillais entre aller boire un godet sur le pont avec mon père ou aller manger dans la cabine, un beignet frit à l’huile par ma mère. Envahie par le doute, je vivais, toujours dans ces cas là, un vrai drame de prise de décisions…et comme toujours dans ces cas là, j’optais pour une troisième solution et descendis dans la câle secrète que mon oncle le capitaine, nous avait mis à disposition, pour y ranger dans une malle les robes, voilettes, châpeaux, chaussures de ma grand-mère, jetées en vrac à la hâte avant le départ pour sa maison de l’Ile d’Yeux

Je me noyais dans les taffetas, les tulles, les mousselines et dentelles de ma grand-mère, quand mon regard s’arrêta sur des perles éparpillées sur un tapis étalé dans la câle. La lumière qu’elles reflétaient était d’un jaune d’or irisé surprenant. Plus surprenant encore, dans l’une des perles se reflétait un œil qui clignait dans cette lumière boréale… J’aurais voulu fixer cette image à jamais, la peindre mais mon chevalet était resté dans ma cabine. Le rythme du clignement était irrégulier, j’essayais de le décoder : 3-5-7 ; 3-5-7 ; 3-5-7…… des pensées venues de l’œil, me posèrent des questions et je lui répondis hypnotisée dans un langage qui m’échappait :


-Vas-tu demain au bord du grand amour ?
-J’irai, sans doute, entendre ses murmures
-Tu sais qu’il saque et re-saque
-Oui, mais j’écouterai ses vagues en nombres bien paginés s’éloignant en flots rouges vers la montagne sacrée où il est enfermé par la hyène sa gardienne.
-Le chemin qui mène à sa maison est long.
-Je m’en fous. Je soufflerai légèrement dessus pour le faire virevolter, danser et l’assagir.
-Est-ce que tu peux faire une réponse courte ?
-Ah ! Non ! Pas quand je parle du grand amour
Quand il est sur moi il me couvre de trop d’eau dans le corps … même dans le désert je ne me déshydrate pas, il m’apporte l’iode des oursins hurlant
-Et avec la hyène tu feras quoi ?
- Je rirai avec elle et la ferai danser dans une robe rouge
-A trois ou quatre temps ?
-A cinq bien sur.
-Et quand le grand amour sera là, tu en feras quoi ?
-Je ne le lâcherai pas, ne le lâcherai pas, ne le lâcherai pas … le collerai à jamais avec des milliards de gouttelettes étoilées sur le pare-brise de mon cœur, ça fera flic floc, ça fera frisotte, ça fera pelote… Il sera le vent qui valse comme un fou, là haut sur la montagne et qui passe sur la pointe des pieds dans la pièce close de mon cœur.


L’œil s’arrêta d’émettre des pensées.

Alors, je m’approchai doucement de son reflet dans la perle… il se remit à cligner plus rapidement… l’iris me fascinait … je plongeais dedans. Après une longue descente de crépuscule dans le cœur de la pupille, j’y vis l’âme d’un animal. Non pas d’une souris, d’un rat, d’un éléphant ou d’un kangourou … non, l’âme d’un chat aux yeux d’or… je rentrai dans ses pensées, ses feulements, ses mouvements feutrés, son langage de chat !

Je le questionnai à mon tour dans un état de transe :


Pourquoi te gratter le cou ?
C’est ta robe rouge qui veut ça. C’est pour les heures de Grenade.
Pourquoi pleurer des larmes dorées ?.
Je ne sais.
T’aime, toi ?
J’adore.. le coucher de soleil, j’adore. Son rouge comme ta robe, son rayon vert comme tes yeux. On dit qu’ils s’épousent, et moi, j’aime les mariages.
Qui t’a mis au monde ?
Qu’est-ce que ça peut faire ? Tant qu’on a le temps…
Qu’est-ce que t’attends ?
Le soleil, le souffle et la pluie
Tu as entendu ?
Oui, c’est la pelote.
Tu as trouvé le sens ?
Je crois. Quand l’heure tourne, elle réve de lionne, s’étonne, puis s’empoisonne..
Tu crois, à quoi ?
Il y a le monde, c’est sûr. Tout l’infini du monde. Il tient dans le trou noir de ma pupille… maintenant que tu es tombée dedans, tu peux le voir

- Est-ce que c’est l’heure ?
- Oui je crois. De plus en plus, de plus en plus... Même si c’est dur !


Je tombais en amour fou pour l’âme de ce chat qui se mit à bailler et m’avala toute entière… le chat fut libéré, mais moi je restais enfermée dans la perle. J’attends depuis 10 ans, que quelqu’un vienne dans la câle secrète, ranger les dentelles de ma grand-mère et remarque l’œil dans la perle sur le tapis au reflet jaune d’or irisé…Et je ressasse :


Je n’ai pas fait ce rêve, Je n’ai pas fait ce rêve, Je n’ai pas fait ce rêve ….
La fenêtre est ouverte face à la mer
Les poissons dorment dans le carreau
Ils me susurrent des mots, des mots, des mots …
Laisse faire, fait confiance, danse au creu de la perle
Une vague d’eau de gouttelettes dégoulinantes
Frappent mes yeux écarquillés
Un coquillage d’outre-tombe happe le 8 de mes courbes corporelles
M’enlace dans une valse espiègle de
Mille pieds entrelacés où les poissons s’emmêlent
Ils rient à n’en plus donner du crâne,
Volent jusqu'à la mer
D’où souffle un vent violent
Qui ferme la fenêtre
D’un rêve que je n’ai pas fait
D’une folle rencontre avec un chat.


2 commentaires:

  1. J'aime beaucoup la poésie de l'auteure même si ce conte n'est pas facile d'accès car il me semble contenir plusieurs lectures. Un travail très intéressant en tout cas ! J'ai un peu buté sur la ponctuation notamment dans le premier paragraphe...

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  2. Je rejoins Sylvain pour la poésie de l'auteur qui embarque le lecteur dans un monde étrange. Ce texte est intéressant et intriguant. Je trouve cependant qu'on est un peu loin du sujet, car c'est le bateau de l'oncle, et mis à part qu'on est à bord d'une navette, on ne se rend pas vraiment compte qu'il s'agit d'un transport en commun.

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