La porte d'entrée
claque, les clés laissées dessus s'agitent. Marie est aux aguets
dans son lit, elle attend que le bruit cesse. Elle n'ose à peine
respirer sous la couette. Silence.
Elle inspire longuement
puis s'étire. Elle peut enfin sortir de sa chambre et envahir
l'appartement. Cela faisait des jours qu'elle attendait ce moment,
enfin seule ! Ses parents avaient prévu de partir sur la journée
pour installer Mémé Yvette dans une maison de retraite et Marie
avait prétexté un important examen à réviser pour réussir sa
1ère année d'école en architecture. Ne rien faire et donc ne rien
prévoir, telle avait été sa soudaine envie pour cette journée-là.
Marie regarde par la
fenêtre du salon. Il est encore tôt, la rosée du matin
brille encore dans le parc de la résidence. Marie ferme les yeux. La
douce lumière du soleil printanier caresse son visage et elle se met
soudain à rêver de la plage où elle a rencontré Juan. Un jeune de
son âge, à l'accent hispanique charmant. C’était l’été
dernier.
Elle se prépare un café,
elle fixe le liquide noir éclabousser les parois de la tasse et
s'imagine dans le remous des vagues avec son amour de vacances. Elle
sort le paquet de biscottes, ouvre le frigo pour prendre le beurre et
remarque le poulet rôti de la veille. La cuisse du volatile
l'interpelle, elle ressemble tellement à celle de son bellâtre
estival ! L'odeur forte du morbier la réveille. "Faut que je me
reprenne !" pense Marie. Elle ferme la porte du frigo avec
vigueur. Elle avale son café, engloutit une première biscotte
puis une deuxième et allume la télé. Elle tombe sur une chaîne de
sport que sa mère a payée pour faire son fitness quotidien. "C’est
ce qu'il me faut !" se surprend Marie à dire à voix haute. Et
la voilà en petite culotte, sur le tapis du salon, en train
de reproduire les mouvements de Mike.
Soudain, la sonnette
retentit. Marie, le cœur battant la chamade, éteint vite la télé
et se dirige à pas de loup jusqu’à la porte d’entrée. Elle
colle son œil au judas. Ahurie, Marie ouvre aussitôt la porte et
s’exclame : « Mémé Yvette ! Mais qu’est-ce que tu
fais là ? Tu n’es pas avec papa et maman ? ». Sa
grand-mère lui explique avoir pris un taxi depuis la maison de
retraite. Cela fait une semaine qu’elle a emménagé là-bas et
elle ne supporte plus Edmond son voisin de chambre qui hurle des
insanités nuit et jour. Elle dit que c’est Michel, l’oncle de
Marie, qui l’a emmenée dans ce mouroir. Marie ne comprend pas.
Mais où sont donc allés ses parents ? Mémé Yvette évoque
une histoire de juge et de divorce, tout en enlevant son foulard à
motif floral puis son manteau en peau de mouton. Elle marque un temps
d’arrêt, pose son faux sac Vuitton sur le buffet puis se
demande quel temps il va faire aujourd’hui. Marie l’observe. Sa
grand-mère s’est maquillée, largement tout de même, elle
ressemble à Priscilla folle du désert. Son pantalon en
simili cuir moule ses cannes de gazelle, vestige d’une
jeunesse passée à danser dans les bals de son village. Mémé
Yvette s’installe sur le canapé et continue de parler : de
son petit chien Chipie décédé il y a huit ans, de ses voyages dans
le sud de la France, du jour où elle a rencontré le cousin du
beau-père de la voisine qui a serré la main d’Emmanuel Macron,
de ses fuites urinaires, du pain savoureux de sa boulangère, de feu
pépé qui l’a martyrisée… La logorrhée de sa grand-mère
étourdit Marie puis la transporte dans ce bar de Valencia où Juan
s’est approché d’elle pour que leur conversation ne se noie dans
le brouhaha, leurs lèvres s’étaient alors scellées.
« J’ai faim ! »
l’appel du ventre de Mémé Yvette ramène Marie dans son
appartement. Un poulet plus tard, la vieille dame s’endort sur le
canapé. Le silence reprend sa place. Marie se demande si elle finira
comme sa grand-mère, à fuir un lieu de vie qu’elle n’aurait pas
choisi, qu’elle détesterait même, à chercher du réconfort et de
la tendresse, la chaleur d’un visage familier. Marie renait. « Mémé
Yvette, réveille-toi ! On va partir toi et moi, faire un beau
voyage. Tu connais l’Espagne ? »
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