Par Joël Peran
Marie répond à
l'appel de la sonnerie stridente du radio réveil en pressant le
bouton d'arrêt. Elle le connait par coeur.
Elle s'étire
délicatement, baille et se lève doucement. Elle enfile ses
pantoufles : le parquet de la chambre est peut être
tiède, mais le
carrelage de la cuisine ne ferait pas bon ménage avec ses pieds
nus. Machinalement, elle allume la télévision
pendant que son
café se réchauffe dans le micro onde. Emmanuel Macron
apparait en gros plan, derrière un journaliste présentant
les infos. Marie
sourit légèrement. La voix du journaliste ne correspond pas aux
mouvements de lèvres du président, mais le mot
qui lui vient est :
ventriloque. Elle écoute sans écouter. Elle étale une fine
couche de miel sur une biscotte et attend
patiemment le ding
du microonde, signe que son déjeuner peut commencer. Marie aime
prendre son petit déjeuner debout. En flanant.
Marie adore le
craquement que produit la biscotte quand elle mord dedans. Elle
pose le regard par la fenêtre. Le boulevard en
dessous est désert.
Les voitures sont à l'arrêt, sagement endormies au bord des
trottoirs. Aucun passant. Aucun bruit.
Sauf celui de sa
biscotte qui en devient maintenant presque dérangeant. Le
journaliste sur l'écran a laissé place à des
publicités. On
passe de Louis Vuitton à des tranches
reconstituées de poulet rôti. Passionnant. Le
regard de Marie se perd au loin.
Bien plus loin que
la barre d'immeubles qui longe le boulevard. Elle rêve de
marcher dans l'herbe fraiche,
de sentir sous ses
pieds nus la rosée du matin. Elle rêve
d'extérieur, de vie, de vagues, d'embruns sur les rochers. De
soleil aussi.
Une musique la tire
de sa rêverie. Entrainante mais pas entêtante. Sur l'écran, une
jeune femme blonde prodigue à ses téléspectateurs
des conseils de
fitness ou de gymnastique. Marie se dit qu'elle devrait se
remettre un peu au sport aussi. En tous cas, l'émission
lui donne envie.
C'est le temps qui manque. Son déjeuner terminé, elle se dirige
lentement sous la douche. L'eau chaude, l'odeur
vanillée du gel
douche. Marie se sent bien. Elle sort nue de la salle de bains,
revient dans la chambre en abandonnant la serviette
autour de ses
cheveux. Elle prend une petite culotte en posant
les yeux sur le dernier petit mot de son homme qu'elle a
conservé, près de
la table de chevet. "Je t'aime ma Gazelle". Marie
sourit, enfile un T Shirt blanc et bleu, son vieux
jean's un peu
élimé. Elle retourne dans la salle de bain pour se coiffer. Le
miroir lui renvoie son reflet fatigué. Plus de cinq
semaines. Plus de
cinq semaines qu'elle se bat sans relâche avec ses collègues, le
"personnel soignant" dont on parle tant, tous
forgés dans le même
moule, celui de l'altruisme, du dépassement de
soi. Et de l'oubli de soi. Il faut vaincre. Pas le choix.
Marie enfile ses
basket, une veste en coton et prend son sac à main. Enfin, son
gros sac. Elle sort de son appartement après
avoir vérifié que
tout était éteint. Sur le palier, aucun bruit. La résidence
confinée dort encore.
Et Marie désire plus que tout que
demain soit comme avant.
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