LA FIN D'UN MONDE - Version initiale


La fin d’un monde

Chapitre 1 : 
L’Optimiste
par Sylvain Prévost





Paris, 12 décembre 2012. Bureaux de la Brigade financière (BRIF)


  • Alors l'Optimiste, toujours à fond sur ton enquête ?

  • Pour la millième fois Gandron : arrête de m'appeler comme ça !

Malgré le ton ferme de la réplique, Marie Lépine affichait un grand sourire. Il faut dire que cette enquête sur le suicide de la célèbre Emma M. était de loin l'affaire la plus intéressante de sa courte carrière. En effet, depuis ses débuts à la Brigade financière de la Police judiciaire de Paris il y a tout juste un an, les enquêtes aussi croustillantes que celles-ci se faisaient rares et Lépine commençait sérieusement à regretter ses choix professionnels.

  • Au lieu de surfer sur tes sites douteux, tu ferais mieux d'enquêter sur Emma M. La biographie que je t'ai demandée, tu en es où ?

  • Je suis à fond, l'optimiste ! A fond !

  • Si l'enquête n'avance pas, Dieu sait ce qui va nous tomber dessus. Si tu pouvais avancer sur cette biographie, tu m'enlèverais une belle épine du pied !
  • Une belle Lépine du pied ??

Affalé sur ton fauteuil, Le brigadier Gandron s'étouffa en poussant un de ces rires gras et bruyants dont lui seul avait le secret. Alors que son corps obèse semblait couler le long du siège, la cendre de sa cigarette vint mollement s'écraser sur son clavier d'ordinateur, sous le regard incrédule de sa supérieure hiérarchique. D'un geste pataud, Gandron épongea son visage bouffi et violacé.
  • Excuse-moi, elle était facile ! Tu sais pourquoi la Brigade financière enquête sur Emma M. ?
  • Décidément, tu débarques ! Juste avant sa mort, Emma M. venait de léguer toute sa fortune à la fondation Nouvelle vie. 110 millions de dollars, ça vaut bien une enquête, non ?
  • La vache ! Tu crois vraiment qu'elle s'est suicidée ?
  • C’est un meurtre. J’en mettrais ma main à couper ! D'ailleurs, pourquoi crois-tu qu'on m'a confié l'enquête ?
  • Parce que tu es pire qu'une teigne. Tu ne lâches jamais rien, l'Optimiste !
  • Ça, c'est sûr, je vais pas te lâcher ! On m'a confié l'enquête car avant je bossais à la Crim’. Les autopsie et les meurtres, ça me connaît !
  • Arrête, tu me fais peur... C'est à quelle heure, ton autopsie ?
  • Dans moins d'une heure. Et Fouille sera là.
  • Fifouille ? Il assiste aux autopsies maintenant ?
  • Tu crois qu'il va manquer la dernière occasion de voir Emma M en tenue d'Eve ?
Lentement, Gandron entrouvrit ses petits yeux de fouine. Son regard semblait s'être tinté d'une lueur lubrique. Inconsciemment, il passa une main sur son crâne dégarni, comme pour se recoiffer.
  • Elle s'est suicidée comment au fait ?
  • Barbituriques. Bon allez, j'y go moi !

                                               ***

Le bâtiment en briques de l'Institut Médico Légal donnait l’impression de flotter dans la brume parisienne. Sur le Pont d'Austerlitz, Lépine observait les passants en fumant sa cigarette. Ses mèches blondes ondulaient au gré du vent et ses yeux bleu-gris semblaient perdus dans le vide. Le métro aérien surgit le long de la Seine pour se perdre dans le brouillard, laissant derrière lui un nuage de lumière et un râle métallique. Le Quai de la Rapée était lugubre en cette froide soirée de novembre et les passants marchaient vite, pressés de rentrer chez eux. Le vent, charrié par le fleuve s’engouffrait dans l’allée menant à l’Institut. Dire que tous ces gens passent tous les jours devant ce bâtiment sans se douter une seconde qu'en plein coeur de Paris, on y découpe des corps. Marie Lépine trépignait d'impatience. Un an sans autopsie depuis qu'elle avait quitté la Criminelle. Autant dire une éternité pour celle qui avait consacré sa courte vie à courir après les indices et traquer les assassins. Jusqu’à cette fameuse enquête. L’enquête qui a boulversé ma vie... Lépine ne savait trop que penser de cette nouvelle affaire. Emma M était une jeune chanteuse américaine mondialement connue. Peu avant son suicide, la star venait de terminer une tournée mondiale après que son dernier album eut cartonné dans les charts. Récemment, Emma M. avait annoncé la fin de sa courte carrière pour se consacrer pleinement à la cause écologiste, soutenant sans réserve le mouvement Nouvelle vie. Dès lors, pourquoi Emma M, à l'aube de sa récente reconversion, s'était-elle donné la mort ? C'est ce que Lépine avait la ferme intention de découvrir en pénétrant dans les bâtiments austères de l'Institut médico-légal.

***

  • Bonjour Docteur
  • Lieutenant Lépine. Je vous pensais morte !
  • Charmant !
Le Docteur Franck Babone gratifia Lépine d'un regard bienveillant. Un sourire taquin se dessina sous ses fines moustaches blanches, ce qui lui donnait des airs de savant fou. A l'époque où Lépine travaillait pour la Crim’, les deux compères se voyaient régulièrement à l'Institut et une réelle complicité s'était installée malgré leur différence d’âge. Partageant la même fascination pour la mort, Lépine ne se lassait pas d'écouter le légiste parler de modifications cadavériques et autres techniques médico-légales permettant de déceler les indices indispensables à toute enquête criminelle. Il arrivait même au lieutenant de participer à des autopsies qui n'avaient rien à voir avec ses propres enquêtes. De son côté, Babone était impressionné par la détermination et le professionnalisme du jeune lieutenant. Il s'était souvent demandé pourquoi Lépine s'obstinait à sacrifier sa beauté et sa jeunesse pour de sombres affaires de crimes. Il ne savait plus s'il fallait parler d'obstination ou d'obsession depuis la toute dernière affaire qui avait ébranlé Lépine au point de la contraindre à quitter la Criminelle. Il l'avait beaucoup soutenue à cette époque. Cette faille dans la personnalité de la jeune femme l'intriguait mais il n'avait jamais osé franchir la barrière professionnelle. La voix de Marie Lépine vint interrompre ses pensées.
  • Docteur Babone, vous m'écoutez ?
  • Naturelement
  • Le commissaire Fouille n'est pas arrivé ?
  • Vous le trouverez dans la salle d'à côté. Je crois qu'il avait besoin de prendre l'air. Il semble que votre commissaire ne soit pas un grand habitué des autopsies. J'espère que personne ne se trouve en contrebas des fenêtres...
Le ton goguenard de la répliqué associé à la voix nasillarde du légiste amusa Lépine, comme à l’accoutumée.
  • Ce sont les pigeons qui vont être contents ! Je propose que nous commencions cette autopsie, je ne tiens pas à dormir ici.
  • Comme vous voudrez lieutenant. Vous connaissez le chemin.
La dépouille de Emma M. reposait sur la table d'autopsie. L'ex chanteuse, préalablement débarrassée de ses vêtements, semblait profondément endormie. Son corps était étonnamment intact. En tout état de cause, rien ne laissait présager un décès brutal, encore moins un suicide.
  • Je vous rassure, elle est bien morte. Enfin, si je puis m'exprimer ainsi.
  • Qu'avez-vous fait de ses vêtements ?
  • Ils sont dans son casier. Pour répondre à votre prochaine question, je n'ai rien décelé d'anormal.
  • J'aurai tout de même besoin de les voir après l'autopsie si cela est possible
  • Aucun problème. Alors comme ça la victime était chanteuse ?
  • Docteur ! Vous n'avez donc pas la télévision ?
  • J'avoue ne pas avoir le temps pour ce genre de divertissements... Bien, commençons. Vous verrez, cette autopsie sera rapide puisque selon moi, tout est déjà consigné dans le rapport d'analyses toxicologiques. Mercredi 12 décembre 2012, 19H23 précises. Emma Mozell Morgan, chanteuse, née le 14 février 1981 à Phoenix, Etats-Unis. Sexe féminin. Type caucasien. Taille 1m72. Poids 60kg. Signes particuliers : de nombreux piercings ainsi qu’un tatouage sur la nuque représentant semble-t-il euh... un code barre. Décédée le 7 décembre 2012. Heure de la mort 22h15 selon le rapport de la police scientifique. On ne retrouve aucune lésion après examen externe du corps. La cause de la mort est objectivée par les résultats de l'analyse toxicologique. Il s'agit d'une intoxication médicamenteuse avec dose létale de Phenobarbital associée à la prise d’alcool en quantité importante. Le relevé d’alcoolémie sept heures après le décès indique un taux de 2,5 grammes d’alcool par litre de sang.
  • Docteur Babone, vous avez mentionné un tatouage. Puis-je le voir ?
  • Bien entendu. C'est un tatouage pour le moins discret comme vous pourrez le constater. Je ne l'ai pas vu tout de suite car il était caché sous les cheveux de la défunte.
Le légiste fit claquer un gant en latex puis plongea sa main dans l’épaisse chevelure blonde de la chanteuse, sous le regard incrédule de Lépine.
  • C'est tout de même étrange. Quel intérêt de se faire tatouer un code barre ? S'il s'agit bien d'un tatouage, pourquoi quelque chose d'aussi minuscule et à un endroit pareil ? Ce dessin doit mesurer à peine deux centimètres !
  • Que voulez-vous dire ? Vous pensez qu'il ne s'agit pas d'un tatouage ?
  • Je l'ignore mais je m'interroge. Je n'arrive pas à lire ce qui est inscrit sur ce code barre, vous avez certainement une loupe ?
  • C'est inutile, j'ai bien entendu déjà vérifié. Attendez, j'ai tout noté dans le dossier.
   Il se faisait tard. La lumière agressive de l'halogène tranchait avec la lueur blafarde de la lune qui semblait observer les protagonistes depuis l’unique fenêtre de la salle d’autopsie. Le reste de la salle d’autopsie était plongé dans la pénombre. Sur un petit chariot reposaient des instruments chirurgicaux en inox, tous aussi énigmatiques les uns que les autres. Des étagères couvertes de produits chimiques, bocaux d'analyse et ouvrages de médecine en tout genre couvraient le mur du fond. Le corps sans vie d’Emma M. semblait à présent cireux. Au loin, le bruit d'un fax vint rompre le silence qui pesait depuis plusieurs minutes. Après avoir ajusté ses lunettes d’un geste lent et remis en place plusieurs mèches de ses cheveux blancs en bataille, le Docteur Babone farfouilla dans ses notes sous le regard impatient du lieutenant. Au même moment une ombre gigantesque surgit de la table d'autopsie. Le légiste glapit à la manière d’une fillette apeurée.
  • Commissaire Fouille, bon sang !
  • J’ai loupé quelque chose ?
Il faut dire que le commissaire Philippe Fouille était impressionnant à bien des égards avec son mètre quatre-vingt dix, son quintal et son visage éternellement renfrogné. Ce visage sans cou qui semblait vissé sur un corps de rugbyman engoncé dans un costume trois pièces. Franck Babone enleva son gant pour s’éponger le visage avec un kleenex alors que le Commissaire contournait la table d’autopsie en prenant bien soin de ne pas regarder le cadavre. Lépine ne put retenir un demi-sourire.
  • Nous parlions de ce tatouage. Le Docteur Babone a noté sur ce papier la série de chiffres figurant sous le code barre.
  • 440323934 ? Et donc ? C’est la combinaison du loto ?
  • Il faudra interroger l’entourage de la chanteuse pour savoir l’origine de ce tatouage.
  • C’est à la Crim’ d’enquêter, Lépine ! D’ailleurs, je m’étonne que la Crim’ n’ait envoyé personne pour assister à l’autopsie. Il y a du relâchement dans l’air depuis votre départ... Bref, Docteur je vous écoute : suicide ou meurtre ?
  • Je n’ai pas de boule de cristal, Commissaire. Je n’ai qu’une certitude : votre chanteuse a ingéré une dose massive de barbituriques combinée à une quantité d’alcool importante et je n’ai constaté aucune trace de violence. L’autopsie nous dira s’il existe des lésions internes.  
  • Très bien, si c’est un suicide, nous n’avons donc plus rien à faire ici. Dossier clos. Basta ! Sur ce, je vous souhaite une bonne soirée madame, monsieur.
  • Commissaire, l’autopsie n’a même pas...
Mais le légiste avait à peine eu le temps de finir sa phrase que Philippe Fouille avait déjà agrippé son manteau et quitté la salle d’autopsie. Alors que Lépine tentait de réprimer un fou rire, la porte battante de la salle d’autopsie s’entrouvrit et un jeune homme s’avança en souriant.
  • Bonjour, je suis le lieutenant Axel Mamblaie de la Criminelle.
  • Marie Lépine de la Brigade Financière.
  • J’ai beaucoup entendu parler de vous, lieutenant. C’est un plaisir de vous rencontrer.
De façon inhabituelle, Lépine ne put immédiatement soutenir le regard insistant du jeune lieutenant. Elle se sentait manifestement troublée par l’allure élancée et juvénile de ce collègue qu’elle n’avait jamais vu lorsqu’elle travaillait à la Crim. Il faut dire qu’Axel Mamblaie avait un sourire à faire fondre la banquise et que son regard vif et pétillant était une invitation permanente au voyage.
  • Mes excuses pour ce retard, Docteur. Inutile de me faire un debriefing, je prendrai connaissance du rapport d’autopsie. Alors, on le découpe ce corps ?


À vous d'écrire la suite !

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