LA PEUR DE LE DIRE

Selma Guettaf.
Mai 2013


     D’elle, je ne connais pas grand-chose. Une jeune fille insaisissable, aux cheveux courts, aux grands yeux clairs, qui parle peu et s’esquive avec grâce. On est dans le même lycée mais je n’ai jamais osé l’aborder. Elle est comme enfermée dans une coquille, dont j’ose à peine écorcher la surface. Que pouvait-elle renfermer derrière ce regard d’où émane un étrange magnétisme ?

Son attention est souvent focalisée sur son téléphone dernier cri. Je sais qu'elle envoie souvent des textos à ses amis, que le monde cesse d’exister quand elle se connecte à Internet, qu'elle a même failli rater son arrêt de bus pour finir un jeu de RP (role play). Je sais aussi que les livres l'ennuient et qu’ils ne servent qu'à l'éventer lorsqu'il fait chaud. Par contre, ça lui arrive de télécharger des e-books qu’elle lit et partage sur le net.

Ce qui me subjugue le plus en elle c’est sa métamorphose quand elle dispute une course de voiture sur sa PSP. Son expression se transforme avec une rapidité frappante, devient presque meurtrière. Toute douceur en elle s’évanouie. Un air canin se dégage d’elle. Elle fait penser à un félin sauvage et indomptable prêt à bondir.

Maintes fois, j'ai cherché à l'approcher et maintes fois, je me suis ravisé au dernier moment. J'avais une boule au ventre à chaque fois que j'étais dans son sillage. Je pensais au départ, que c'était de l'admiration, mais je me suis rapidement rendu à l'évidence. J’étais amoureux à un point qui dépasse l’entendement. Je me suis juré qu'un jour, je lui parlerai de mes sentiments, coûte que coûte, même si je devais paraître ridicule. Cette promesse, je me devais de la tenir.

Un soir, Facebook me suggéra d’ajouter Chapinette à ma liste d’amis. En parcourant le profil de cette personne, je tombai sur ses photos. Et là, ce fut la grande révélation. Des flots de joie envahirent mon être. C’était Elle ! Je ne pus m'empêcher d'y voir un signe, celui que j'attendais depuis des mois. Je sentis un courage insoupçonné remonter à la surface de mon cœur. Mes doigts tapotèrent avec une confiance irréprochable tous les mots d’amour  qui affleuraient des profondeurs de mon âme et que je ne réécrirai pas ici car j’ai l’intime conviction que ces choses-là doivent rester secrètes. Sa réponse vint après dix minutes ; brève et mystérieuse : « tg ! ». Était-ce un « je t’aime » inversé, concis, propre à notre nouvelle génération ? Je ne saurai le dire. J’ai grandi un peu en marge et tout cela me dépassait. Trépignant d’impatience, je consultai un ami sur Skype.

Le message codé voulait dire : « Ta gueule ! »
Une constriction subite me laissa interdit.
La douleur déferla sur moi telle une lame de fond.
Mais je ne me déclarai pas vaincu.

J'ai vaguement oublié tout ce qui s'est passé ensuite, la concentration extrême qu’il m’a fallu pour écrire dans son langage sms, les bêtises que j'ai dû sortir pour avoir un peu de son attention. J’étais fébrile, j’avais des sueurs froides et mes mains moites ne cessaient guère leurs tremblements. Au fil de notre conversation, j’ai appris que des formules comme «lol », « ptdr », ou des simleys du genre ^_^ parvenaient à toucher sa sensibilité que n’importe quel autre mot grammaticalement correct. Et ce dont je me souviens très bien, c'est qu’elle qu’à la fin de la soirée, elle m’invita à une conversation par cam ; elle souriait tandis que moi j’avais une tête de merlan frite en fixant son décolleté.


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