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LA TRISTESSE ET LE TEMPS
Sylvia Bel
Mai 2013
Ecrire son histoire sans avoir l’air de paraître un personnage VIP, en toute simplicité, devrait être à portée de tous. Un bilan, un message à ceux auxquels on a toujours craint de dire la vérité de peur de les froisser, avec la bonne conscience de les préserver, bref un état des lieux de notre mémoire, pour vérifier si tout fonctionne correctement encore, un exercice pour se faire plaisir, pour combler un besoin. Probablement aussi, le besoin animal de laisser un témoignage, une trace.
Les quelques lignes qui précèdent celles-ci ont été écrites deux ans auparavant, exactement le 14 Janvier 2009, elles sont restées en sommeil, je n’avais alors rien de bien important à écrire, mais une envie tout simplement, et je ne me serais jamais imaginé que le sort m’aurait choisie pour vivre une douloureuse épreuve, dont je sais par avance qu’elle ne me réserve que peine et souffrance !
Mon Dieu qu’il est difficile d’affronter une bataille perdue par avance, et à forces inégales.
Mon mari est atteint d’une maladie rare et orpheline, une maladie neurologique dégénérative, que la médecine appelle PSP, en décodé paralysie supra nucléaire progressive. Tout un programme rien qu’à l’énoncé de son appellation.
J’ai pris pour habitude lorsque je consulte un médecin ou une infirmière, de ne communiquer que ces trois lettres, ainsi j’ai l’impression qu’ils comprennent moins précisément le programme de sa pathologie.
Quant au médecin ou à l’infirmière ou autre membre du corps médical, il leur arrive très souvent d’ignorer l’origine de cette pathologie, et à moi d’expliquer l’inexplicable….
Cette fichue maladie vous paralyse progressivement, vous prive de la faculté de la communication, la parole devient difficile, vous ne mangez que du mixé, ne buvez que de l’eau gélifiée, et prenez bien sûr toute une panoplie de médicaments dont vous n’êtes même pas sûrs de l’efficacité, ils sont dits de confort….merci trop aimables !
Le plus difficile et douloureux à gérer, c’est la séparation du couple tous les soirs, ce moment terrifiant où il faut partir le soir de la clinique, clinique que j’appelle de récupération.
Après être restée prés de mon mari à m’occuper de lui pendant plusieurs heures, c’est une angoisse qui s’empare sournoisement de tous les deux vers 19h30, car 20h est l’heure fatidique qui va nous séparer : lui va rester avec sa tristesse et sa détresse, et moi je me retiens jusqu’au moment où j’ai franchi le seuil de la porte de sa chambre et que je subis l’assaut retenu de mes larmes et de mon cœur qui part en vrille !
Mais il est où le temps de notre complicité, des parties de rigolade entre nous. Tout a fichu le camp, d’un coup d’un seul dans l’espace de moins de 365 jours !!
Et je me sens projetée vers un monde inconnu, avec violence, mais je suis contrainte à apprendre à me glisser dans le moule, alors que je ne me sens nullement concernée, je viens d’avoir soixante ans, mais à l’intérieur tout est intact, et mon être entier ne parvient pas à accepter !!Je rejette ce qui arrive, et puis…. je me convaincs qu’il faut accepter, ce saut dans le vide est incontournable si je veux continuer à vivre.
En très peu de temps, j’ai eu à affronter le regard des autres, l’éloignement de la famille et des amis comme si sa maladie était contagieuse. Je suis seule face à ma détresse, et personne ne peut ni ne veut me remplacer. Mon futur est définitivement en sens interdit, et il faut rester positif ! Vous savez que votre moitié devra partir, mais quand ? C’est un autre problème, mais bon sang, pitié, le plus tard possible.
J’ai souhaité qu’il reste auprès de moi. Il est revenu à la maison le 10 Février 2010, et durant de longs mois, j’ai vécu un enfermement rythmé par les visites des divers intervenants. L’hospitalisation à domicile, je l’avais réclamée, véritable auberge espagnole…
Je n’avais plus aucune intimité, ils savaient de quoi je me nourrissais sur un coin de table, se permettant des remarques sur mon mode de vie, me faisant comprendre avec insistance parfois, qu’il allait « partir » et qu’il fallait absolument que je me « prépare »….Peut-on se préparer à renoncer à un pan de vie, au prétexte qu’il était nécessaire que je sois prête, mais prête, ça veut dire quoi ? Moi je m’étais glissée dans un univers clos, je ne vivais que par procuration, on s’y accoutume vous savez…. « Ah Madame vous êtes exemplaire, vous n’avez rien à vous reprocher, je ne connais personne capable d’assumer ce que vous faites » et j’en oublie… De la compassion, de la pitié, de l’encouragement, mais lorsque la journée était terminée, je refermais et ma porte et mon espoir !!
Un miracle pouvait arriver, je l’ai appelé ce miracle de toutes mes forces, mais en vain. En réalité c’était une impulsion de force que j’attendais des autres, mais non, rares ont été ces témoignages, mais lorsqu’il m’arrivait d’en recevoir, j’étais transportée de joie et d’espoir.
Son regard parlait pour lui, son unique panorama était l’olivier de notre jardin et la verdure. Les deux aquarelles à la droite de son lit témoigneraient avec force qu’ il s’était forgé son univers, il y pénétrait et retrouvait un monde avec lequel il pouvait communiquer à souhait, une énigme pour moi qui le scrutais avec discrétion sans qu’il ne me voit…j’en étais presque jalouse, je n’avais pas, moi, le pouvoir de le faire rêver ainsi, mais simplement celui de lui parler, de lui caresser le visage, de le choyer, de le soigner, de veiller sur lui….oh quel plaisir j’avais à lui passer la main sur le visage quand il n’était pas rasé de quelques jours, je le traitais de « bad boy » !
La maladie a mis longtemps à avoir une prise sur son visage, celui-ci était vierge de toutes rides, sa peau était celle d’un homme plus jeune. Ses cheveux étaient blond cendré, et faisait l’admiration des aides-soignantes et de l’orthophoniste Véronique, notamment. Il sentait toujours bon et était un patient exemplaire et surtout très attachant. Je lui disais parfois, finalement t’as le beau rôle, et il souriait de mon envie à son endroit.
Et voilà, il est parti, ce 26 Novembre 2012, et à nouveau je ne saurai jamais la véritable raison, décidément on m’a bien caché les clés, du début à la fin !! Difficile à encaisser tout de même…à un mois de Noël et à 17 jours des 40 ans de notre fille. Foutue maladie, j’eus préféré un bon infarctus bien net et sans bavures ou un accident de voiture fatal avec mort sur le coup ! C’est terrible, mais le film au ralenti sans sous-titrage, c’est pire.
J’étais exsangue, suspendue à son souvenir très vif dans ma mémoire endolorie. Mais comment envisager de me reconstruire ? Le terrain me paraît trop meuble, la référence à lui trop présente dehors, comme en moi.
J’ai de la difficulté à me déplacer dans ce qui était son espace vital, toutes ses affaires demeurent en place et me rassurent. Je colle mon nez à son flacon de parfum le matin et le soir. J’ai comme l’impression qu’il s’est absenté momentanément, et qu’il va revenir. Mais non, mais non c’est fini martèle mon intellect en combat perpétuel avec mon affect. La solution à mes souffrances, je dois la trouver toute seule, encore une fois toute seule….et très vite car le temps égrène ses minutes, ses heures, ses jours, sans se soucier des dégâts qu’il cause inévitablement. Mais n’est-ce pas ce temps même qui apaise la souffrance ? Laisser le temps au temps, là est sans doute l’explication dite rationnelle.
La vacuité, laisse une sensation d’abandon total, je suis livrée à moi-même, libre, d’une liberté qui me perturbe dans mes habitudes, je crains d’affronter l’extérieur et souhaite me projeter vers un avenir qui presse. La relation à l’autre est perturbée, je me dois de passer outre, j’en ressens un besoin viscéral, pour m’étourdir, vivre, et je tente de rejoindre la rive, qui insidieusement s’éloigne lorsque je me sens plus forte, et me rappelle à l’ordre. La cicatrice peine à guérir, mais à nouveau le temps, ce fichu temps, est maître de tout…
Je reste très envieuse des caractères plus forts, plus pragmatiques et surtout moins sensibles que le mien.
Peut-on décider de donner un nouveau sens à sa vie ? Est-ce une démarche volontaire ou naturelle ? Oui je veux, le pourrai-je ? Seuls le hasard et la magie de l’inconnu m’aideront à être plus forte. Une voix secrète me souffle au creux de l’oreille, tu t’es démariée par la force du destin, tu ne vas pas te remarier, je ne veux plus de ce schéma, il est trop lourd, trop empesé. Cette liberté, elle est toute neuve, il faut l’apprivoiser, la sublimer, la performer, en cueillir le meilleur, et laisser le sort en décider.
Mais si le hasard décide, serai-je encore maître à bord ? Il me faut une impulsion d’amour qui me transporte loin des tracas, et m’invite à des moments de bonheur et de plaisir intenses. La jeunesse intérieure est intacte, et m’invite à presser le pas….lentement.
Avec le temps, toujours lui, les souvenirs se diluent dans ma mémoire. Seuls les meilleurs ont droit de survivre, les autres, je me surprends à les oublier, jusqu’à en culpabiliser.
Comme si mon intellect opérait une sélection très stricte, mais il n’est pas un appareil photo numérique !! Les effets personnels, les odeurs, sont plus cruels, ils vous ramènent brutalement et sans ménagement à la réalité. Jusqu’à vous meurtrir un peu plus le cœur. Je voudrais tant m’accoutumer à l’idée que cet état de solitude est définitif, régler le problème entre moi et moi.
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