LE SENS DE L'HUMOUR

Mathieu Joyeux
Juillet 2013



Ce Lundi 25 Mai, Michel se rend à son bureau de poste pour envoyer sa déclaration d’impôt sur le revenu. Aujourd’hui avant 0h00, dernier carras avant majoration. Le bureau le plus proche se trouve à Monplaisir, dans le huitième arrondissement de Lyon.

Michel dispose d’un ordinateur à son domicile avec une connexion internet, mais il ne comprend pas pourquoi il devrait déclarer et payer en ligne alors qu’il est quasiment impossible de joindre le service des impôts par téléphone en cette période. Pour lui l’informatique n’aura pas suffit à rendre efficace les « handicapés du travail » que constituent les fonctionnaires du Ministère des Finances. Il faut dire que Michel a développé toute une théorie sur les fonctionnaires ; à l’exception des agents hospitaliers qui, Michel le reconnait, « font ce qu’ils peuvent avec le peu qu’ils ont ».

« Service public, mon cul ! » répète-t-il sans cesse chaque fois que l’opportunité se présente de démonter le public dans une conversation.  « Moi rien que pour les emmerder, je leur envoie ma déclaration par courrier ». « Mais en recommandé, elle est pas folle la guêpe ! ».

A noter que sa déclaration aux impôts contient toujours une lettre dont la poésie ne peut être appréciée que par les seuls amateurs du genre. Elle s’adresse naturellement aux fonctionnaires qui hantent les couloirs des services, plus qu’ils n’y travaillent. Pour honorer l’art littéraire, Michel s’attache chaque année à trouver un thème différent, un peu comme la mode, pour décliner l’immense dégoût qu’il a pour eux. Cette année, le thème, c'est la pénurie de concombres qui frappe la France à la suite des précipitations trop importantes, et qui a entraîné massivement nombre de dépressions vaginales et / ou anales. « C’est selon » glisse-t-il à son collègue Guy, fier de faire observer la nuance.

« Fait chier de devoir aller à la Poste pour envoyer cette saloperie » peste-t-il durant le trajet, « et ces trous du cul de semi-fonctionnaires ankylosés qui sont en grève au centre de tri c’est un scandale ». Résultat de la part galopante d’internet dans nos échanges, la Poste de Monplaisir a décidé de supprimer certains postes.

Première agression à l’entrée du bureau où un homme tente de lui vendre le journal des Sans abris, « j’en ai rien à branler de ton torche cul ».

Une fois à l’intérieur, Michel se dirige directement aux bornes automatiques sur lesquelles il est possible d’affranchir courriers et colis. « Possible », renchérit Michel chaque fois qu’un agent de la Poste le prononce ; « comme si on avait le choix » ! Pourquoi des guichets alors que la vente de timbres, l’affranchissement, même pour les recommandés se font à la machine ? La réorganisation des bureaux avait suscité chez Michel quelques interrogations. «Remarque c’est bien plus efficace », avouait-il du bout des lèvres dans les conversations de spécialistes qu’il formait avec ses collègues autour de la machine à café. ». « Au moins tu fais la queue moins longtemps pour te taper une vieille truie dont la vie sexuelle se résume à des souvenirs ». Il est évident que Michel pensait à la guichetière de son bureau  de Poste. Le système méritait cependant d’être amélioré, et Michel se laissait parfois aller à la rêverie en s’imaginant un rôle de Président directeur général de la  Poste dont la vision de l’entreprise se résumerait ainsi : la déporcification de la masse salariale.

Durant l’opération, Michel se laisse distraire par la joie irrationnelle que lui procure l’observation d’une petite vieille qui peine à se maintenir debout en s’avançant pour faire la queue au guichet, sans qu’aucun individu devant elle ne daigne lui céder sa place. Sans non plus qu’aucun guichetier n’ait le génie de la considérer comme prioritaire. Lorsqu’il sent l’odeur prononcée d’urine séchée , Michel a un début d’érection en remarquant le sonotone mal accroché à l’oreille de la vieille. La vie offre décidément de nombreux petits cadeaux à qui sait l’observer.

Finalement une dame d’origine méditerranéenne invite la vieille à doubler tout le monde. Cette mégère dont la coupe et la couleur de cheveux a priori pas naturelle peut être d’office nominée au concours des dindes de batterie, traduisez cas sociaux du nord de la France apparaissant dans chaque numéro de Confessions intimes. Celle là peut même prétendre décrocher le rôle principal d’une émission de téléréalité, ce qui, Michel en est persuadé, revient au même. « Pauvre France » se dit-il rempli de la nostalgie qu’ont les gens aigris.

Une fois la vignette collée sur l’enveloppe et le bordereau d’envoi complété, Michel choisit un autre guichet, « question de survie ! ».  Le guichetier, aussi aimable qu’une porte de prison, décoche un bonjour bien plus rapide que les mouvements qu’il est capable d’effectuer pour accomplir ses tâches. Un rictus orne le coin de ses lèvres en guise de sourire, à peu près le même que lors de l’éjaculation. Michel sent la nausée pointer à cette image, « ou le début d’une diarrhée je ne sais pas trop».

« Vous voulez un accusé de réception ? »

« Ca ne se voit pas ? Vous êtes vraiment aussi con, ou est-ce que ça vous demande un effort de trouver des questions aussi connes ?! » La diarrhée finit par se concrétiser par des mots qui malgré tout dégueulent de la bouche de Michel.

Derrière lui la voix d’une femme visiblement en phase de ménopause s’élève « Ca ne va pas bien de parler comme ça ?! ».

Le sang de Michel se met à bouillir, « On t’a sonné le diplodocus ? Si t’allais allumer la mèche de ton tampax pour te faire exploser la tirelire, ça te changerait un peu ?! ». Le témoin de la préhistoire n’ose plus rien dire !
Embarrassé, le guichetier tamponne l’avis de dépôt de Michel et lui remet en lui souhaitant une bonne journée sur un ton calme. La formation interne Gestion des conflits avait porté ses fruits.

Michel lui arrache sèchement des mains et part sans qu’aucune formule de politesse, ou d’insulte d’ailleurs, ne lui parvienne aux lèvres.

15 jours plus tard, le corps d’un homme qui, après les vérifications de l’autopsie se révélera être celui de Michel est retrouvé dans plusieurs boîtes jaunes d’envoi du courrier : les mains, les bras, le tronc, les pieds et les jambes. Inutile de dire que ceux-ci ont subi quelques modifications pour pouvoir pénétrer dans la fente des boîtes.

Les plus étranges colis sont le pénis, accompagné des testicules, qui sont déposés avec la livraison de 6h30 au Directeur du bureau de poste de Monplaisir, et l’anus, soigneusement découpé du reste du corps, collé sur une feuille avec une marguerite au centre, qui est réceptionné le lendemain par la recette des impôts de Lyon 8ème.


3 commentaires:

  1. Sans doute le texte le plus trash de tous ! Quelques formules houellebecquiennes plutôt bien tournées même si certaines répliques sont franchement trop crues à mon goût.

    RépondreSupprimer
  2. Bien écrit, un texte qui colle avec le sujet et qui se laisse lire sans difficulté. Seul bémol, la chute. Si l’idée est bonne (découpage en morceaux, tous ça… ) Je trouve qu'elle tombe un peu à plat. Certes c'est une fin sur mesure pour Michel, mais, à mon sens, il manque quelque chose à propos de l’auteur des "envois" et ses motivations.

    RépondreSupprimer
  3. Je trouve que ce texte abonde de clichés, que la fin n'est pas amenée et l'on se demande qui est l'auteur de ces atrocités ?

    RépondreSupprimer

Aidez nos contributeurs à progresser en laissant un commentaire :)

AVERTISSEMENT !

Le contenu de ce blog est protégé par les droits d'auteur. Toute diffusion ou commercialisation du contenu de ce blog est strictement interdite.