Il ne reste plus qu’une minute d’attente. Le métro va bientôt entrer dans la station et déverser le flot de voyageurs dans cette station du centre de Paris. Il n’y a pas beaucoup de monde. C’est le milieu de l’après-midi. Il est plus agréable de voyager en métro dans la capitale en dehors des horaires de pointe.
Cinq personnes attendent avec moi au niveau de la première porte du premier wagon. Le métro arrive dans un grondement qui résonne sur toute la faïence murale de la station. Les portes automatiques s’ouvrent et les usagers descendent de la rame, encadrés par ceux qui vont prendre leur place, formant une haie d’honneur à l’air hostile et pressant chaque pas indécis de s’éloigner…
Décidément, il n’y a pas une grande foule à cette heure. Même si les places assises sont prises d’assaut, il n’y a que quelques personnes sur les plates-formes, debout.
Le signal strident, prévenant de la fermeture imminente des portes, retentit. Au dernier moment, un homme se glisse comme naviguant sur un nuage et atterrit dans le wagon. Je le vois à peine. Je ne pourrais jamais le reconnaître car immédiatement, il se place dos aux voyageurs, le visage presque plaqué sur la vitre de la porte.
De dos, il parait tout à fait normal. Ses cheveux châtains clairs sont un peu dégarnis sur le dessus du crane tandis que le reste tombe sur les épaules. Qui elles sont légèrement voutées. Habillé d’une veste claire, je ne peux dire s’il est un SDF qui prend soin de lui ou quelqu’un d’autre…
Il a un physique banal, auquel je ne prête pas d’attention. Sitôt calé contre la porte fermée côté rail, je replonge dans le livre que j’ai emporté avec moi. Tout à coup, cet homme à l’apparence invisible et se fondant dans la masse des individus qui voyagent avec moi commence une chanson. Toujours face à la porte, dissimulant son humilité, cet homme a un timbre de voix parfait et chante, ne dévoilant que son dos. La chanson qu’il interprète est une chanson de crooner. Sa voix et sa posture traversent ma peau et viennent chatouiller mes sens à me donner la chair de poule. Il transmet tant d’émotions, tant de chaleur humaine dans son interprétation qu’il me subjugue, me bouleverse !
Jamais un trajet entre deux stations ne m’aura paru si court et si intense. L’émoi qu’il a provoqué en moi supplie le train de ralentir pour savourer encore quelques secondes cette voix sans visage qui exprime toutes les peines et toutes les joies enfouies en moi. Je ne prête pas attention lorsque le train s’immobilise au quai suivant ouvrant ses portes et libérant ce chanteur inconnu. Il part aussi vite qu’il est venu. Sans un regard derrière lui. Sait-il qu’il vient de troubler au moins un voyageur ? Je suis bloqué comme entravé par ses paroles qui me retiennent dans le train avec l’unique espoir de les entendre encore une fois. Et si ce n’est pas possible, alors je guette leur écho. En vain.
Depuis plusieurs années, j’espère que sa route croisera à nouveau la mienne. Je sais que je le reconnaîtrai. Ou plus précisément que je reconnaîtrai sa voix. J’ai conscience aussi qu’à ce moment, s’il se produit, sa voix m’engourdira comme elle l’a fait la première fois et m’empêchera de découvrir quel rhapsode se cache derrière cette voix captivante.
Ce texte me rappelle une expérience que j'ai vécue dans le métro. J'avais été bouleversé par un enfant qui jouait du mélodica. C'était un air simple mais triste qui me transperçait... Merci pour ce souvenir.
RépondreSupprimerCe texte est simple et bien écrit. Un petit voyage bien agréable.
RépondreSupprimerLes écrits les plus simples sont souvent les plus touchants: votre texte est court et intense comme cette rencontre. J'ai bien aimé la description des sensations et des impressions.
RépondreSupprimerJ'ai beaucoup aimé votre texte. Bien écrit, qui retranscrit bien les émotions ressenties. Mais au début de la troisième phrase du cinquième paragraphe il y a une coquille, il faut enlever soit le "qui" soit le "elles".
RépondreSupprimerBonne continuation