Triste regard par Selma Guettaf

Juste après son décès, mon frère devint très somnolent. Il dormait à longueur de journée. Comme un chaton, où qu’il se mettait, il s’assoupissait. Je l’ai découvert un matin en train de geindre faiblement dans son lit. Dans ses phrases inintelligibles, je distinguai le mot m’man. Je me suis dit qu’il faut le réveiller, mais en me penchant vers son visage, je n’eus le courage de le tirer de ses rêves. Peut-être qu’à cet instant même, il se trouvait quelque part avec notre mère. C’était l’aube ; il pleuvait, une pluie fine et silencieuse. Je me suis allongée à côté de lui et me suis enroulée dans la couverture en le serrant dans mes bras. Je ne voyais pas d’autre chose à faire pour soulager un peu sa peine, et j’ai souri en me figurant la tête incrédule qu’il aurait quand il me découvrira dans ce canapé vaste et moelleux. J’ai dormi paisiblement.

À l’époque où je suis entrée au lycée, mon père est mort. Nous nous sommes débrouillées tous les trois, ma mère, mon frère et moi. Et puis l’autre jour, voilà qu’elle nous quitta à son tour. Nous avons passé les jours qui ont suivi les funérailles dans le vague, traînant nonchalamment nos pas dans la maison avec une tristesse sans larmes. Ça a été dur de remonter la pente, quand même on faisait des efforts et on essayait de s’organiser: courses, ménage, cuisine, linge-sale, repassage, poubelles. Puis un jour, après une engueulade effroyablement furieuse, mon frère est sorti en déflagrant la porte. Il est revenu le lendemain pour ramasser ses affaires. Ça m’a fait un choc. Je me suis soudain aperçue que j’étais seule dans cette maison, et tout ce qui m’entourait m’a semblé creux. C’était comme si j’avais été propulsée jusqu’à la dernière ligne, en haut d'un gratte-ciel, et attendait une pichenette dans le dos pour basculer. Mais je me suis cramponnée, décidée de ne pas me laisser abattre.

J’ai voulu tenir le coup, sortir de cet état de léthargie qu’ont les animaux quand ils hibernent, alors j’ai installé mon matelas devant l’entrée pour pouvoir entendre les bruis de l’ascenseur et les voisins qui montaient ou descendaient les escaliers. De cette façon, je me sentais moins seule et en sécurité.

Chaque jour, je prenais le bus pour rentrer chez moi après le boulot. Ce soir-là, j’étais dans un coin près de la fenêtre. Je regardais au-dehors. Les heures heureuses renaissaient doucement dans mon esprit et une boule se formait dans ma gorge. Elle me manquait atrocement. La couverture qu’elle mettait parfois sur moi quand je m’endormais sur le tapis, devant la télé, et ses réprimandes le matin quand je me réveillais avec des courbatures. Les crêpes au chocolat que je lui préparais ensuite pour me faire pardonner, son sourire satisfait, plein de gourmandise et son regard un peu désolé…

Et pas seulement cela. Il y avait cette ambiance…il n’y avait pas beaucoup de bruit dans notre appartement mais c’était notre petit monde où j’avais passé le plus clair de mon temps à regarder les couvertures des bouquins collectionnés par mon père. Parfois, dans la pénombre, je mettais un disque, je me lovais sous l’édredon de ma mère, dans notre vieux canapé, j’attendais qu’elle revienne. Et quand elle posait ses clefs sur la console de l'entrée, qu'elle traversait le couleur et allumait les lumières, je me sentais moins perdue.

Une jeune fille me scrutait depuis tout à l’heure. Je lui balançai un sourire qu’elle me rendit aussitôt, puis je retournai à mon ailleurs. Nos yeux se sont rencontrés une seconde fois. A ce moment là, je m’aperçus que son regard ne m’était pas inconnu, c’était celui d’une personne qui avait perdu un être cher. Je crois que ça devait se lire sur mon visage «Comment j’te plains, toi aussi hein, toi aussi…».

Au terminus, tout le monde est descendu en même temps. Alors que je me retrouvais noyée dans un flot de têtes, j’entendis sa voix étouffée me dire « salut ». Je trouvais bizarre de le laisser partir comme ça, alors je lui proposai qu’on discute et je l’ai invitée chez moi.

Il faisait froid, mais ce n'était pas grave, j’étais bien là à l’écouter. Pour éviter de chialer après avoir parlé des choses dégueulasses de la vie, on s’afféra en cuisine. Quand le dîner fut fin-prêt, nous étions devenues copines. Après avoir mangé de bon-cœur, j’entrai dans la salle de bain où elle s’y trouvait déjà. Sans attendre qu’elle termine de se de laver les mains, j’attrapai ma brosse à dents. J’étais penchée au-dessus du lavabo en train de cracher mon dentifrice, quand je me relevai, nos regards se croisèrent et nous sourîmes à nos reflets. Je restai suspendue à ce moment qui m’absorbait entièrement. Je n’avais pas eu cette sensation d’être légère et simplement vivante depuis bien longtemps.



3 commentaires:

  1. Très touchant ce texte... Le thème est bien respecté et j'aime bien le côté aéré de cette écriture. En revanche, le mélange des temps m'a un peu perturbé (on passe du passé simple au passé composé en passant par le présent, le futur...)

    RépondreSupprimer
  2. Le début de ce texte m'a paru confus. La concordance des temps n'est pas bien maîtrisée et gêne la lecture. Cependant, la seconde partie est plus fluide et l'histoire est plaisante. L'émotion est palpable.

    RépondreSupprimer
  3. j'ai dû lire le texte plusieurs fois avant de comprendre son sens mais vous avez sans doute voulu créer une atmosphère confuse qui interpelle le lecteur.

    RépondreSupprimer

Aidez nos contributeurs à progresser en laissant un commentaire :)

AVERTISSEMENT !

Le contenu de ce blog est protégé par les droits d'auteur. Toute diffusion ou commercialisation du contenu de ce blog est strictement interdite.